présentation de l'éditeur :" Il suivait la Dieffenbachstrasse. Une averse tombait, une averse d'été dont la violence s'atténuait à mesure qu'il marchait en s'abritant sous les arbres. Longtemps, il avait pensé que Margaret était morte. Il n'y a pas de raison, non, il n'y a pas de raison. Même l'année de nos naissances à tous les deux, quand cette ville, vue du ciel, n'était plus qu'un amas de décombres, des lilas fleurissaient parmi les ruines, au fond des jardins. "
Avec l'horizon, Modiano fait toujours du Modiano. Les obsessions restent les mêmes : résurgence d'un passé trouble, personnages seuls et à côté du monde, petites boutiques obscures (dans l'horizon, une librairie ésotérique qui fut une maison d'édition tenue par un certain Hornbacher), des rues parallèles aux rues principales (dans un Paris évanescent) etc. Personnellement, je trouve ça grisant. Et j'avais un peu peur avant de commencer l'horizon car je m'étais laissé dire que pour ce roman, Modiano quittait Paris pour Berlin et qu'il était un peu plus optimiste etc. Mais on nous avait fait le même coup avec le café de la jeunesse perdue (que j'avais trouvé moyen). Or ce n'est pas vrai, Modiano ne change pas et ne changera pas. Il n'est question de Berlin que dans les quatre dernières pages, et certes, la dernière phrase laisse une porte ouverte..mais ouverte sur quoi au juste, sur peu de chose : Bosmans va peut-être retrouver Margaret Le Coz mais bon, on en doute et en plus qu'importe.
Par ailleurs, je voulais faire part d'une interrogation : comment expliquer que ce type qui écrit des phrases si limpides et qui trouvent les mots justes pour dire ce qu'il a à dire ne soit pas capable de construire une phrase correcte dans ses interventions médiatiques ? On pourra répondre qu'il n'est pas un homme de média mais je trouve justement le contraire. Il fait partie des écrivains les plus invités dans les quelques émissions littéraires (qui restent). L'homme est un mystère. Mais un vrai et grand écrivain avec un univers à lui et rien qu'à lui. J'adore.
roman, paru en le 04 mars 2010
Gallimard, 172 pages
lecture du 19.05 au 21.05.2010
note : 4.75/5
Colin sabre et tam-tam - Page 76
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CR160 : l'horizon - Patrick Modiano
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CR159 : les évadés - Christian Gailly
présentation de l'éditeur : Le jeune Jérémie Tod ressemble trop à son père. On va le lui faire payer. En pleine rue, on le fait battre par un policier. Un homme, Théo Panol, intervient. Maladroit, il tue le policier. Il est arrêté, jugé et condamné : trente ans de réclusion. Ses amis décident de le faire évader. Les chances de réussite sont à peu près nulles. Ils vont quand même essayer. Les Évadés est un inextricable entrecroisement d'histoires d'amour, d'histoires d'amour présentes et passées, d'histoires d'amour agonisantes et larvées, d'histoires d'amour réelles et chimériques, les personnages étant liés sans exception par des liens sentimentaux aussi vifs qu'incertains. Nous pourrions dire tout simplement que Christian Gailly, avec ce roman, enferme dans l'espace clos d'une petite ville une communauté d'individus sans illusion, qu'il les suit chacun avec la même attention, la même acuité, la même cruauté, et qu'il les anime comme un marionnettiste.
mon avis : J'ai profité de ce lundi au soleil pour terminer ce petit roman commencé depuis trop longtemps. C'est un genre de polar stylé dans une sorte de huis clos. Barjot et poilant. J'aime décidément bcp Christian Gailly...et puis les éditions de minuit (un tel ovni ne pouvait pas sortir ailleurs).
Ensuite, je vais lire quoi..je pensais à l'horizon de Patrick Modiano mais on ne me l'a pas encore offert. Il y avait un autre bouquin qui me tentait bien mais je n'arrive plus à mettre la main dessus et je ne me souviens ni de son auteur, ni de son titre ni de son sujet. Je me demande même si le livre a bien été écrit..ou alors peut-être s'agit-il d'un film.roman, paru en 1997
éditions de minuit, 234 pages
lecture le 17.05.2010
note : 4.5/5 -
CR158 : d'autres vies que la mienne - Emmanuel Carrère
présentation de l'éditeur : À quelques mois d'intervalle, la vie m'a rendu témoin des deux événements qui me font le plus peur au monde : la mort d'un enfant pour ses parents, celle d'une jeune femme pour ses enfants et son mari. Quelqu'un m'a dit alors : tu es écrivain, pourquoi n'écris-tu pas notre histoire? C'était une commande, je l'ai acceptée. C'est ainsi que je me suis retrouvé à raconter l'amitié entre un homme et une femme, tous deux rescapés d'un cancer, tous deux boiteux et tous deux juges, qui s'occupaient d'affaires de surendettement au tribunal d'instance de Vienne (Isère). Il est question dans ce livre de vie et de mort, de maladie, d'extrême pauvreté, de justice et surtout d'amour. Tout y est vrai
mon avis : La plus grande douleur pour un être humain, c'est d'abord de se voir mourir à petit feu, sans qu'il n'y ait rien à faire..mais subir la perte d'un être cher est tout aussi douloureux. C'est banal que de le dire tant cela fait partie de la vie, tant nous l'avons tous plus ou moins vécu. C'est de cela qu'il est question dans cette espèce d'autobiographie à l'envers dans laquelle l'auteur raconte la maladie, la mort à travers quelques expériences personnelles récentes (mort d'un enfant lors du tsunami en Asie et cancer de sa belle-soeur).
C'est cruel, bouleversant mais avant tout humain..et c'est écrit avec brio et avec cette énergie romanesque (même si ici ce n'est pas un roman) que j'aime tant (celle qu'invoquait JP Toussaint à la sortie de la vérité sur Marie mais qui en fin de compte en était absente). Et puis pour des raisons personnelles, le sujet m'a évidemment tout particulièrement ému.
Un récit marquant.
autofiction, parue en mars 2009
P.O.L, 309 pages
lecture du 02.05 au 07.05.2010
note : 4.75/5 -
Turions sur le nigra !
Il était temps ! 1 an après sa plantation, mon phyllostachys nigra m'offre enfin deux petites pousses. Elles sont sorties de terre il y a quelques jours, je ne sais pas trop en fait, je ne surveillais plus car je n'y croyais plus. Maintenant, mon petit doigt me dit qu'il va exploser de toutes parts... Bien sûr, il n'a pas encore beaucoup d'allure mais je rappelle que j'ai acheté la chose chez un pépiniériste pour quelques euros symboliques tant il avait honte de me vendre un bambou pareil.
Ceci dit, je n'ai pas pu m'empêcher de lui accoler un petit frère : il y a quelques semaines de cela, je me portais en effet acquéreur de celui-là :
Mais en ce moment, la star du jardin n'est pas un bambou..mais un arbre..connaissez-vous son nom ? -
cessation d'une lecture
Depuis déjà une dizaine de pages, j'avais perdu le fil et là, parvenu à la page 110, j'en étais au point où les phrases défilaient sans que j'arrive à comprendre ce qu'elles voulaient me dire..Alors, j'ai bu une gorgée de café, j'ai pris le livre de la main droite et je l'ai balancé par terre, côté passager là où règne un bordel indescriptible composé de journaux, de piles usagées, de paquets de biscuits vides, de trognons de pommes et autres fruits comestibles. Je l'ai balancé comme ça avec dédain. Et puis, je me suis senti beaucoup mieux après. Quand je suis rentré dans l'usine, on me trouvait un sourire niais. Quelqu'un m'a même dit que j'avais l'air d'un catholique en extase devant la statue de la Sainte Vierge.
Adieu, tailleur de Panama. -
Stephen Shore (suite)
Cette photo me fait penser à une scène de Paris-texas lorsque l'amnésique sorti de nulle part, après s'être arrêté quelques heures dans une espèce de bar perdu au milieu de nulle part, reprend son périple et qu'il se fait rejoindre par son frère (?) et ce dernier lui demande où il va, qu'il n'y a rien à faire dans cette direction.
Et puis, alors, ces nuages, ce qu'ils sont beaux. Comment ont-ils pu arriver dans ces endroits dévolus au ciel infiniment bleu..
Quelques poteaux électriques (puisqu'il faut bien envoyer le courant vers ces motels et fermes isolés qu'on trouve ici ou là), une chaine de montagne tout au fond (il y en a tout le temps dans ce type de photo) et il y a fort à parier que plus ou avance vers elle plus elle s'éloigne).
En plus de Paris-Texas, un gros air de Bagdad Café également..va sans dire.
Peut-être que par cette route, on arrive ici :
Mais pas sûr. -
la croisée des chemins...
Il s'agit d'une photographie de Stephen Shore, un photographe américain qui aime photographier les endroits périphériques, péri-urbains ou que sais-je encore. Je suis attiré par ce type de photos. Celle-ci a été prise en 1976..mais j'ai envie de dire qu'importe tant il parait clair qu'en 2010, une photo prise au même endroit ne serait pas différente. A moins qu'en 2010, il y a possibilité de tourner à à droite. Que dire d'autre ?(c'était juste une note pour faire patienter mes trois lecteurs...) -
CR157 : l'année de l'éveil - Charles Juliet
présentation de l'éditeur : Un petit paysan qui n'avait jamais quitté son village se retrouve un jour enfant de troupe. Dans ce récit, il relate ce que fut sa seconde année de jeune militaire, une année de découvertes et de bouleversements, qui le verra mourir à son enfance et s'éveiller à des réalités et des énigmes dont il ignorait tout.
La faim, le froid, les bagarres, son avide besoin d'affection, l'admiration qu'il voue à son chef de section, sa passion pour la boxe, les sévices que les anciens font subir aux bleus, la découverte de l'amour avec la femme de son chef, le sadisme de certains sous-officiers, la nostalgie qu'il a de son village, de sa chienne et de ses vaches, ses quinze jours de cachot, son renvoi de l'école puis sa réintégration, la hantise de mourir à dix-huit ans, là-bas, dans ces rizières où la guerre fait rage…, c'est le récit d'une entrée en adolescence, avec ses révoltes et sa détresse, ses déchirements et ses ferveurs.
Ce livre a été porté à l'écran par Gérard Corbiau, sous le même titre.mon avis : Depuis que je tiens l'espèce de blog (visité quotidiennement par 5 courageux), j'ai lu quelques autobiographies parmi lesquelles l'âge d'homme de Michel Leiris dont j'avais apprécié le verbe et le haut niveau d'introspection et plus récemment un roman français de Frédéric Beigbeder que j'avais aimer sur le coup mais qui aujourd'hui avec le recul, me semble quand même assez anecdotique (surtout à côté de celle que je viens d'achever). Je connaissais Charles Juliet par quelques interview (notamment chez Laure Adler récemment sur France Culture) et je trouvais le type intéressant, modeste (mais presque trop), posé et surtout il me donnait le sentiment d'être très exigent avec la littérature . L'année de l'éveil confirme cette exigence. Le verbe y est juste, les phrases sont belles. Mais ce qui suprend le plus dans ce récit, c'est la précision avec laquelle l'auteur arrive à restituer des événements et des impressions datant de plus de trente ans (l'action se déroule dans les années 50 et l'année de l'éveil a été publié en 1989). Certes, tout cela doit être un peu romancé mais la performance reste quand même remarquable. Un modèle d'autobiographie.
C'est à peu près tout ce que j'ai à dire, la présentation de l'éditeur disant à peu près tout.
Par ailleurs, Charles Juliet publie régulièrement une sorte de journal de bord où il doit quoi, je ne sais pas trop mais je suis assez tenté également par cette lecture (et j'ai sous la main lambeaux, récit qui rend hommage à sa mère).autobiographie, parue en 1989
folio n°4334, 287 pages
lecture du 10.04 au 14.04.2010
note : 4.5/5 -
photo inédite d'Arthur Rimbaud
Depuis une demi heure, je regarde attentivement cette photo inédite d'Arthur Rimbaud dégotée dans une brocante par deux libraires parisiens (qui vont maintenant se disputer par avocats interposés pour savoir à qui elle appartient vraiment). Inconsciemment, sans doute, je cherche dans ce regard des clés pour comprendre les illuminations. Si un jour, je les trouve, j'en parlerai ici évidemment (en 2040 peut-être).
Pour en savoir plus : ici
Promontoire
L'aube d'or et la soirée frissonnante trouvent notre brick en large en face de cette villa et de ses dépendances, qui forment un promontoire aussi étendu que l'Épire et le Péloponnèse, ou que la grande île du Japon, ou que l'Arabie ! Des fanums qu'éclaire la rentrée des théories, d'immenses vues de la défense des côtes modernes ; des dunes illustrées de chaudes fleurs et de bacchanales ; de grands canaux de Carthage et des Embankments d'une Venise louche ; de molles éruptions d'Etnas et des crevasses de fleurs et d'eaux des glaciers ; des lavoirs entourés de peupliers d'Allemagne ; des talus de parcs singuliers pendant des têtes d'Arbres du Japon ; les façades circulaires des "Royal" ou des "Grand" de Scarbro ou de Brooklyn ; et leurs railways flanquent, creusent, surplombent les dispositions de cet Hôtel, choisies dans l'histoire des plus élégantes et des plus colossales constructions de l'Italie, de l'Amérique et de l'Asie, dont les fenêtres et les terrasses à présent pleines d'éclairages, de boissons et de brises riches, sont ouvertes à l'esprit des voyageurs et des nobles — qui permettent, aux heures du jour, à toutes les tarentelles des côtes, — et même aux ritournelles des vallées illustres de l'art, de décorer merveilleusement les façades du Palais-Promontoire.
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Eric Chauvier : l'anthopologue qui achève la crise
Depuis que je suis en âge de raisonner, j'ai toujours plus ou moins entendu parler de la crise (dans tous les domaines possibles) et puis depuis deux ou trois ans, alors que le concept commençait juste à décliner, hop, on a rajouté une couche. Une crise, une vraie (la pire depuis l'après-guerre ) s'est greffée sur l'autre crise, ma crise, celle née dans les années 70 et qui semble éternelle.
La crise fait partie de ma vie, de nos vies. Au quatre éléments que sont l'eau, le feu, l'air et la Terre, il faut rajouter le crise. Crise et civilisation humaine sont intimement liées.
Il va de soi qu'au bout d'un moment, on se pose des questions. Allongé sur la chaise longue et sirotant une bière tout en terminant le dernier roman de Philippe Djian, je m'interroge : qu'est la crise dans mon quotidien ? En quoi n'ai-je pas le moral à cause de la crise ? Quelles sont les manifestations de la crise visibles dans mon quotidien ?
Le matin, le réveil me réveille, je me lève, allume la machine à café préparée la veille, vais lever les enfants, les emmène à l'école, file au boulot, bosse, rigole avec mes collègues, vais déjeuner, retourne au taf, rentre à la maison, me promène, rêve, me cultive, aime et m'endort. Où la crise là-dedans ? Sachant que d'un point de vue social, je ne me situe pas dans les catégories les plus aisées (au contraire même, c'est galère très souvent), qu'en est-il de mes congénères, qu'en est-il de toi, chez lecteur qui me lit te demandant quelle mouche m'a piquée ? Notre moral ne dépend-il que de nos finances ou que de l'assouvissement de nos désirs matériels ? Que m'importe si mon pouvoir d'achat n'augmente cette année que de 0.03% ?
C'est en faisant tous ces constats que je suis tombé en errant dans une grande librairie de Saint-Lô, sur un tout petit bouquin écrit par un certain Eric Chauvier, anthropologue de son état, intitulé "la crise commence où finit le langage". Le titre m'a interpellé, allant directement dans la direction de mes réflexions, à savoir que la crise existe avant toute chose parce qu'on en parle. Elle n'a d'existence que par le langage.
Cela commence de la sorte :
les médias assènent que l'espèce humaine creuse sa tombe chaque jour et vraisemblablement depuis toujours. S'en sortir relèverait d'un presque impossible défi. Évoquant les grosses ficelles du film catastrophe, cette dramaturgie est très hollywoodienne....
Plus d'infos sur cet essai (paru aux éditions Allia) : ici
Bienvenue dans le club des incorrigibles optimistes.