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littérature française

  • CR316 : la chambre des époux - Eric Reinhardt

    la chambre des époux.jpgJ'adore Eric Reinhardt autant qu'il m'agace mais l'éblouissant Cendrillon sorti en 2007 (à propos duquel il dit qu'il ne pourra jamais rien écrire de mieux) fait que je lui excuse beaucoup de choses. Et avouons que cet écrivain secoue un peu le doux ronronnement de la littérature française d'aujourd'hui de part l'ambition de ses romans, leurs constructions et les thèmes toujours très proches de l'actualité qu'il y développe. 

    Figurez-vous la chambre des époux. Il évoque dès le début un roman qu'il aimerait écrire qui s’appellerait une seule fleur mais qu'il ne va pas écrire car il a d'autres projets. Faute de l'écrire, il nous en explique la trame...qui constitue quasiment tout le roman la chambre des époux ! Plutôt cocasse comme "dispositif" comme il dirait. ER s'amuse volontairement avec les codes romanesques et avec ses lecteurs. C'est un fait que l'écrivain n'est pas un amateur du récit banalement chronologique et qu'il profite des libertés qu'offre l'art romanesque quitte à dérouter et à provoquer des mises en abyme vertigineuses (et pardon si c'est un pléonasme). L'autre  caractéristique des romans de ER est toujours se mettre en scène (à part peut-être dans le système Victoria, j'ai un doute), faisant donc de l'autofiction dans ce qu'elle a de plus noble. Il y a donc une base de vrai et ensuite on ne sait plus trop. Ce qui est vrai dans ce récit, c'est que l'écrivain a appris le cancer du sein de sa femme Margot alors qu'il était loin d'en avoir fini avec Cendrillon, que Margot a survécu à ce cancer. Après ce ne sont que conjectures mais ce qui fait 80% de la chambre des époux, c'est à dire une période de la vie de son fils (ou pas) Nicolas (compositeur et chef d'orchestre de génie...) constitue de la pure fiction, c'est justement ce une seule fleur qu'il ne veut pas écrire. Donc, il écrit un roman qu'il n'écrira jamais !

    Le cancer est omniprésent dans ce roman mais il est narré comme un drame autant que comme une bénédiction. C'est la cancer qui donne à l'auteur la force de finir Cendrillon  et c'est le cancer de Marie qui va pousser Nicolas  à se rapprocher d'elle et lui écrire un requiem ( évidemment plus beau que celui de Fauré ou de Dvořák...mais pas celui de Mozart) au risque de briser son propre couple mais il joue franc jeu annonçant à sa femme Mathilde qu'il va la quitter provisoirement pour aller au chevet d'une mourante. 

    J'ai le sentiment que Eric Reinhardt a voulu exorciser par l'écrit ce drame qui l'a touché de près. Alors sans doute, il en fait trop, trop de superlatifs, trop de tout mais en dehors de cet aspect, on ne lui enlèvera pas cette énergie romanesque qu'il parvient à insuffler à ses romans. 

    Des citations, je pourrais vous en mettre plein mais moi qui adore le pot-au-feu, je veux juste vous restituer ce passage parce que je veux parler du pot-au-feu (que ma femme m'a promis de refaire très vite, je regarderai comment elle fait cette fois-ci et je l'aiderai) :

    La savoureuse odeur d'un pot-au-feu cuisiné par Mathilde et mijotant doucement dans sa marmite voluptueuse et argentée embaume l'appartement. C'est plat préféré de Nicolas [...] et c'est lui-même qui le matin, au marché, a fait part  à Mathilde de son envie de pot-au-feu. 

    lecture sur liseuse Kindle en septembre 2017,  Editions Gallimard , parution août 2017. note : 4 / 5

    Loïc LT

  • CR315 : sur les chemins noirs - Sylvain Tesson

    sur les chemins noirs.jpgTout le monde s'imagine seul avec son baluchon tel Rimbaud sur les routes ardennaises (Mon unique culotte avait un large trou. - Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course, Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse. - Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou... ), avec quoi dedans,en tout cas sans thunes et personne qui ne t'attend nulle part. Et bien, si c'était le cas pour moi, je ferais le trajet ouest-est en longeant la Loire et en rejoignant Paris à la confluence de la Seine et de la Marne et je rejoindrai l'est, sans forcément suivre le cours de la Marne comme JP Kauffmann mais en prenant des chemins noirs ainsi que les appelle Sylvain Tesson qui dans se récit relate sa marche initiatique des Alpes vers le Cotentin. 

    L'idée est d'éviter autant que faire ce peut la civilisation (les routes, les métropoles...), ce qui l'appelle donc les chemins noirs, qui correspondent pour moi aux routes jaunes (c'est ainsi que jadis on nommait une route non bitumée située deux cent mètres devant la maison familiale et qui  servait juste à faire passer les tracteurs et les vaches, routes qu l'administration appelle des chemins d'exploitation). Son intention est de retrouver de l'authenticité deux ans après avoir fait l'imbécile en tentant d'escalader le mur de la maison d'un ami après avoir pris un coup de pied de barrique. Dans son périple, il dort soit à la belle étoile, soit sous sa tente Quechua, rencontre des paysans d'un autre temps et des âmes égarées, s'arrête dans des cafés de campagne pour boire de l'eau. 

    Entre deux bois, je lançais mes cris d'amour aux vaches et obtenais un parfois un long "meuh" en réponse. A Saint-Sévère, je lus la presse dans un soleil huileux. Les nouvelles du monde  n'étaient pas pire que d'habitude. Après tout, quand Attila avait débarqué avec des Huns sur les rives de la Loire, la situation n'avait pas dû être plus enviable qu'aujourd'hui.

    Et à Ardentes, au bord de l'Indre, il se demande :

    Les rivières ont-elles la nostalgie des sources ? 

    Alors qu'en même temps, Julien Doré surenchérit dans mon écho  " où vont le silence des rivières ? ", question que je ne comprends pas car une rivière est rarement silencieuse.

    Sylvain Tesson, le visage déformé par l'accident, prend plaisir à passer ses nuits à la belle étoile. " Le bivouac est un luxe qui rend difficilement supportables, plus tard les nuits dans les palaces". 

    A la fin du périple :

    Toute longue marche a ses airs de salut. On se met en route, on avance en cherchant des perspectives dans les ronces, on évite un village, on trouve un abri pour la nuit, on se rembourse en rêves des tristesses du jour. On élit domicile dans la forêt, on s'endort bercé par les chevêches, on repart un matin électrisé par la folie des herbes hautes, on croises des chevaux. On rencontre des paysans muets.

    Et pour finir

    La France changeait d'aspect, la campagne de visage, les villes de forme et la marée montait autour de notre tente, demain il s'agirait de ne pas traîner. Une seule chose était acquise, on pouvait encore partir droit devant soi et battre la nature. Il y avait encore des vallons où s'engouffrer le jour sans personne pour indiquer la direction à prendre et on pouvait couronner ces heures de plein vent des nuits dans des replis grandioses. 

    Il fallait les chercher, il existait des interstices.

    Il demeurait des chemins noirs.

    De quoi se plaindre ?

     

    Ce récit me fait penser un peu aux expériences de François Maspero ( les passagers de Roissy Express), aux travaux de Raymond Depardon et évidemment au périple de Jean-Paul Kauffmann le long de la Marne...et puis aussi à l'essai de Philippe Vasset cherchant à Paris des zones blanches, autant d'auteurs que j'ai évoqués sur ce blog pour le meilleur ou pour le pire (je parle de moi).

    lecture sur liseuse Kindle en septembre 2017,  Editions Gallimard , parution octobre 2016. note : 4 / 5

    Loïc LT

     

  • CR314 : une vie française - Jean-Paul Dubois

    une vie française, Jean-Paul DuboisJean-Paul Dubois est fan de l’auteur américain Philip Roth (qui n’a jamais obtenu le Nobel de littérature ce qui est scandale quand on sait que le chansonnier de bazar, Bob Dylan l’a obtenu) et cela se ressent dans ce roman (qui est sans doute un peu autobiographique).

    Le parti pris de l’auteur a été d’associer la vie de ses protagonistes à celle de la vie politique française. D’ailleurs, les chapitres sont découpés en ce sens. On part de Gaulle pour finir en cour de mandat de Jacques Chirac. Tout commence au lendemain de la guerre à Toulouse. Le narrateur, Paul Blick est le fils d’un garagiste concessionnaire Simca et d’une mère corrigeant des articles de presse.

    Ensuite, bien que modeste et désabusé , Paul vit mille et une vies. Un temps rockeur, un temps journaliste, un temps photographe etc etc, sa vie suit le cours de l’histoire. Pleinement acteur des événements de mai 68 et donc ultra gauchiste dans l’âme, comme beaucoup dans son cas, il se voit rattrapé par la vie réelle au point de vivre après plusieurs liaisons avec une fille patronne inflexible d’une boite vendant des piscines à l'international. Par ailleurs, en sa qualité de photographe, il publie deux livres à succès sur le thème des arbres qui le mettent à l’abri de tout souci financier.

    Mais tout ce qui brille n’est pas or. Paul a du mal à se jeter dans ce monde ultralibéral à mille lieux de ses idéaux. Il trompe sa femme, Anna, comme il apprendra sur la fin qu’elle le trompait aussi et n’avait que faire de ses piscines.

    Finalement, tout part à vau l’eau (décidément, je n’ai pas de chance avec mes romans d’été). Après la mort accidentelle de sa femme, il est au bord de la banqueroute devant payer les dette laissées par son épouse. A la fin, il finit jardinier à son compte (après avoir été un vendeur de best sellers).

    On sent bien la patte de Phillip Roth dans ce roman mêlant la grande et la petite histoire. Son seul défaut est de manquer de crédibilité. Songez par exemple que Paul, non seulement devient millionnaire après avoir photographié des arbres (ce qui enlève au héros son côté français moyen) mais en plus il reçoit un coup de fil de Mitterrand lui demandant une série de photos ce qu'il refuse par idéologie. Ça en fait trop pour en faire un roman du genre “règne animal”. A l’actif, c’est un beau panorama de notre société de l’après-guerre jusqu’aux années Chirac et surtout rappelle le sérieux retournement de veste comme beaucoup de soixante huitards, d’un mec qui finalement accepte de plonger corps et âme dans le bain du libéralisme tout en étant conscient de ce rétropédalage.

    Le drame pour le narrateur, c’est que dans cet univers économique impitoyable où la famille pourrait servir un peu de garde-fous, il n’y trouve que conflits politiques (avec ses parents dans un premier temps) et avec Anna, ouvertement de droite mais dont la fin funèbre fait semer le doute.

    Des drames, de l’adultère, de la politique, le train-train quotidien (mais tumultueux souvent)...Jean-Paul Dubois fait évidemment du Philip Roth à la française dans un style simple et chronologique. Ce roman qui a reçu plusieurs prix (Fémina et Fnac) date de 2004 et nous replonge sans nostalgie dans la deuxième partie du XXème siècle avec ses francs et ses petits garages au coin de la rue.

    lecture : juillet 2017, éditions de l’Olivier, parution 2004. note : 4 / 5 (oui j’en ai marre de mettre de 4.5/5)

    Loïc LT 

  • CR313 : règne animal - Jean-Baptiste Del Amo

    règne animal.jpgComme ce blog est fermé, j’ai écrit ce que je pensais de ce bouquin sur Facebook mais il existe encore des réfractaires à ce réseau social. Ceux qui sont contre Facebook savent son côté pratique mais leur opposition est avant tout idéologique. On dit qu’on n’est pas sur Facebook comme on dit qu’on n’a pas la télé. C'est trop mainstream. Comparaison ne vaut pas raison mais quand tu veux traverser la France en voiture, tu as le choix entre prendre les autoroutes ou prendre les autres routes. Si t’es pressé et que t’a pas envie d’observer le paysage, tu prends les autoroutes. Par contre, si tu as tout ton temps, c’est mieux de prendre les petites routes, de traverser les petits bourgs, d’emprunter les voies cernées par les champs de  vigne ou de tournesol. Et bien Facebook, c’est l’autoroute, aires de repos comprises.

    Voilà qui est dit, qui est hors-sujet et donc injuste à l'égard de ce  roman de Jean-Baptiste Del Amo qui est une totale réussite. Auréolé du prix livre Inter 2017 (y’a des prix de merde mais pas chez Radio France), il m’a été conseillé par une libraire de Vallon Pont d’Arc, ville située non loin de la grotte Chauvet dont ma famille a visité la réplique mais pas moi parce que je fais mon museau de cochon quand il s’agit de réplique, copie parfaite soit-elle. On en fait trop pour protéger les grottes ornées d’autant que visites humaines ou pas, elles sont promises à la disparition, comme toute chose.

    Mais je m’égare encore. “Règne animal” raconte l’histoire d’une exploitation agricole (qui deviendra exclusivement porcine, d'où le museau de cochon ah ah ah -) tout au long du XXème siècle avec cependant un grand bon en avant puisqu’on passe des années 20 au début des années 80 d’un chapitre à l’autre. Ce grand écart est cependant bien géré par l’auteur qui revient sur l’entre deux régulièrement. Ce roman est avant tout naturaliste et donc un peu une version moderne de “la Terre” de Zola. Comme le stipule le titre, l’animal règne, l’homme en est tributaire au point d’en prendre les habitudes (saleté, sexualité, instinct primitif…). Du Zola aussi parce que la famille dont il est question et qui habite près du bourg de Puy-Larroque (qui n’existe pas mais qui semble se situer plutôt vers le sud, en tout cas loin de Triqueville dans l'Eure) et dont le récit couvre 5 générations, porte en elle les gènes de la folie et accessoirement de l’alcoolisme dont certains échapperont et d’autres moins tout en devenant fous quand même lorsque l’un revient défiguré de la Grande Guerre et d’autres sont complètement dépassés par l’élevage de porcs hors-sol vus l'impératif de rentabilité et les contraintes sanitaires qu'il nécessite. Autre trait de caractère de cette famille : l'absence de sentiments. Les hommes copulent et  crèvent comme copulent et crèvent les cochons. 

    C'est avant tout le roman d’un effondrement. A la fin, il ne reste rien. Je ne vais pas rentrer dans les détails (en parlant de détail, le roman est très cru, et on a l’impression de sentir le cochon en quittant le livre) mais il reste juste un enfant (et son arrière-grand-mère, fil conducteur de l'ensemble un peu comme la centenaire Adélaïde Fouque dans les Rougon-Macquart), le dernier de la lignée dont on sait ce qu’il peut devenir, seul rescapé de la fuite en avant dans laquelle s’est engouffrée sa famille. Si on rajoute les ravages du cancer, de l'illettrisme, on dispose d’une belle palette de la misère humaine.

    En tout cas, je ne sais pas qui est cet auteur mais il décrit cet élevage de porcs avec une telle précision et un tel sens du détail qu’on se demande s’il n’a pas passé 3 ans dans une porcherie avant de commencer à écrire. Ou il est du milieu mais j’en doute.

    Alors, comme je le dis (trop) souvent, âmes sensibles s’abstenir. Une chose est certaine, Jean-Baptiste Del Amo, s’il garde cette verve et cette envie de décrire l’humanité sans cacher ce qu’elle a de plus sombre (même en se cantonnant  à la France) est promis à un grand avenir.  Je le conseille fortement à mon amie Julie Schittly.  

    lecture : juillet 2017,  édition Gallimard, 419 pages, parution : 2017, note 4.5/5

    Loïc LT

    ps : corrections à venir

  • CR311 : Mémé - Philippe Torreton

    mémé.jpgL'année dernière, j'ai écrit un livre sur mon grand-père maternel que j'ai diffusé après impression à quelques membres de ma famille. Je n'ai pas eu beaucoup de retour pourtant j'ai donné beaucoup de ma personne. Je suis allé interroger des gens l'ayant connu, j'ai posé des questions à ses filles, je suis retourné sur les lieux où il avait vécu. Mais en fin de compte, ce projet, aussi louable fut-il a été un échec. Il lui a manqué ce que Philippe Torreton a su faire à propos de sa grand-mère : de la poésie, du symbolisme. A vouloir tout dire, j'ai tout gâché. je le savais déjà mais je l'ai encore plus réalisé en lisant ce récit.

    Mémé. Aujourd'hui, qui sont les gens qui ont appelé leur grand-mère "mémé" ? Je dirais les plus de 40 ans et encore, mamie est arrivée en ville très vite. On est très peu de privilégiés à voir pu appeler sa grand-mère "mémé". Et idem pour pépé. D'ailleurs, mon book raté que j'ai intitulé le bateau d'Emile évoquait mon pépé car je l'ai tout le temps appelé de la sorte. 

    Bref, Philippe Torreton a écrit un livre sur sa mémé, une mémé vivant dans une petite bourgade normande pas loin de la mer mais si loin en même temps à tel point qu'elle n'y allait jamais. Ce bourg s'appelait Triqueville et il est perdu dans la forêt quelque part dans l'Eure. 

    Tous les gens qui ont eu une mémé (comme moi, elle m'a même élevé suite au décès de ma mère alors que j'avais 6 ans) se retrouveront forcément dans le portait de cette femme qui portait la blouse-mémé, qui ne gaspillait rien et qui tout en étant avare de sentiment n'en cachait pas moins. Le narrateur voyait beaucoup sa mémé car ses parents qui en semaine vivaient en ville rénovaient une chaumière en face de la maison de la mémé. 

    La mémé a connu des guerres, a même divorcé, une mémé presque moderne dis donc et elle est une fois montée à Paris pour voir son petit-fils jouer le Barbier de Séville. Pour l'occasion, elle avait acheté une robe et tout et quand l'acteur a su que sa grand-mère était présente, il a eu le plus grand tract de sa vie (alors que s'il y avait bien une personne qui était mal placée pour juger une telle prestation, c'était bien la mémé)...mais ça en a dit long sur les sentiments qui priment sur le jugement objectif. 

    Triqueville donc, rarement évoqué mais suffisamment pour m'interpeller. Il se trouve qu'il y a quelques jours, je me suis rendu dans ce bourg de l'Eure qui se situe pas loin de Honfleur et de Pont-Audemer. J'ai atterri dans ce bourg par hasard et à mon grand regret je ne suis pas resté longtemps. Ce n'est qu'après coup qu'on m'a raconté l'histoire de la mémé qui avait sa maison là-bas, maison à colombage sans doute, maison que j'aurais pu voir et photographier si j'avais su. 

    Mais je retournerai.


    compte rendu de lecture,normandie,biographie,lecture,cultureL'affaire ne s'arrête pas là. Je vais vous raconter une anecdote. Ma sœur habite pas très loin de Triqueville et quand elle a su que Philippe Torreton avait écrit un récit sur sa mémé, elle l'a lu évidemment et puis une idée qui peut paraître saugrenue lui est venue. Elle a acheté cinq exemplaires de l'ouvrage et les a offert à des voisins en les postant dans leur boite à lettre avec lettre manuscrite à l'appui. Chacun est invité (je parle désormais au présent car c'est en cours) à lire ce récit et tout le monde est appelé à se retrouver pour en parler avant l'été. 

    Je salue l'initiative et en tant que journaliste pour Ouest-France (oui, je sais, je ne suis qu'un "simple correspondant" - la caste des journalistes insiste là-dessus - mais quand je vais à la rencontre des gens, je me définis comme un journaliste), si j'avais connaissance d'une telle initiative, je sauterais dessus. La littérature manque à notre société et c'est pourtant un moyen de fuir ce quotidien...ou de l'embrasser par des mots. Perso, je n'ai rien contre mes voisins mais une telle initiative venant de moi..ou d'eux me semble très improbable.

    Si la réunion a lieu, ce que j'espère, je devine que chacun aura beaucoup à dire sur le livre mais aussi sur sa mémé. La mémé. Rien que le mot mémé résume tout. Toutes nos mémés sont différentes mais elles ont le point commun d'être des mémés. 

    Et ma mémé qui s'appelait Elisa (mais qui s'est fait tout le temps appeler Marie)  avait plus d'un tour dans son sac..ou dans les poches de sa blouse, car après sa mort, on a trouvé un cahier où elle avait commencé à écrire sa vie...ou je ne sais plus, j'ai très peu vu ce cahier.  

    C'était une note sur les mémés. J'aurais bien mis des citations extraites du livre de Philippe Torreton mais le récit de 140 pages est une citation à lui tout seul. Il n'y a rien à jeter. 

    lecture : avril 2017,  édition papier J'ai lu, Flammarion: 141 pages, parution poche : janvier 2017, note 4.5/5

    Loïc LT

  • Ici, toujours ici - Yves Bonnefoy

    Ici, toujours ici

    Ici, dans le lieu clair. Ce n'est plus l'aube,
    C'est déjà la journée aux dicibles désirs.
    Des mirages d'un chant dans ton rêve il ne reste
    Que ce scintillement de pierres à venir.


    Ici, et jusqu'au soir. La rose d'ombres
    Tournera sur les murs. La rose d'heures
    Défleurira sans bruit. Les dalles claires
    Mèneront à leur gré ces pas épris du jour.


    Ici, toujours ici. Pierres sur pierres
    Ont bâti le pays dit par le souvenir.
    A peine si le bruit de fruits simples qui tombent
    Enfièvre encore en toi le temps qui va guérir.

    (recueil Hier régnant désert, 1958)

    Le décor est planté. Un domaine minéral, que de la pierre partout. Trop de pierres surtout aux heures chaudes de la journée, c'est insoutenable, ça étouffe tout. Les désirs sont étouffés et des délices de la nuit, il ne reste que le scintillement des pierres. 

    On a tous connu de tels décors que ce soit dans l'enfance, en vacances ou ailleurs. L'été, un soleil de plomb qui brûle les pierres, à tel point qu'on évite de marcher pieds nus. Seules les roses bénéficiant de l'ombre peuvent survivre à la chaleur accablante. Les autres sont condamnées. 

    C'est un ici immuable et tout le pays a été bâti de la sorte. Cela évoque la Provence ou même pourquoi pas les quelques jours de canicules que la nature impose une fois tous les vingt ans à l'Armorique et ses chaumières en granit. Je me souviens de ces jours, de ces murs crevassés, des lézards qui s'y cachaient, des après-midi qui n'en finissaient pas et cette longère qui renvoyait la chaleur. On aurait aimé profiter du soleil mais on ne restait pas plus de 5 mns sur la terrasse de un mètre de large devant la maison. 

    Les premiers fruits tombent, les plus chétifs ou les plus précoces mais ils ne rassurent en rien. Ils ne nous évoquent pas l'automne, cet automne qu'on attend lorsque la chaleur est telle, alors oui, cette chaleur s'en ira mais ici, toujours ici, nos pas ne sont guidés que par une sorte de folie que provoque la fournaise. 

    Au cinéma, ce seraient des scènes de la piscine avec Alain Delon et Romy Schneider ou le mépris avec Michel Piccoli et Brigitte Bardot dans la villa Malaparte. 

    Rimbaud à Aden, tout de blanc vêtu et surveillant ses peaux de cuir, armé et abattant tous les chiens errants voulant s'y approcher. 

    Loïc LT

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    (merci à Alice pour la photo. région de l'Algarve au Portugal)

  • # poésie contemporaine : extrait - Yves Bonnefoy

    DSC00634.JPGJ'avais installé ma liseuse subrepticement à côté des deux plateaux sur lesquels étaient disposés des mets quelconques. En face de moi Prisca, trop occupée à me parler d'anecdotes diverses et variées comme seules les femmes ont le secret ne s'était rendue compte de rien. J'aurais bouffé un prospectus en face d'elle qu'elle n'en n'aurait rien vu. Oh, j'exagère ! Nous déjeunions en périphérie de Vannes dans une boulangerie-snack bien située par rapport à nos bureaux respectifs. J'ai remarqué que lorsqu'on se retrouve à deux en dehors du quotidien, le vrai, la maison, les enfants, la bouffe à préparer, et bien, c'est comme une parenthèse. On se dit qu'on est vraiment con de se prendre la tête pour des conneries. Le quotidien et la monotonie qui l'accompagne sont un tue-l'amour.  

    A la limite, je n'avais pas besoin de sortir ma liseuse. La poésie, ce n'est pas que de la littérature, c'est vivre et profiter de l'instant présent et réaliser le bonheur de vivre ensemble, de construire une histoire à deux. 

    Elle m'a parlé d'une amie qui n'allait pas très bien. Alors, j'ai tourné la tête et je lui ai dit : " Mais a-t-elle gardé claire son antique liberté ?". 

    Je n'avais pas sorti cette phrase tirée du poème de Bonnefoy au hasard car je connaissais un peu cette amie et son antique liberté. Mais Prisca, la surprise passée ( encore que je l'avais sortie de façon si naturelle que dans un premier temps elle a pensé que c'était de moi, ce qui aurait été possible mais pas à cet instant, dans ce court espace-temps entre nos activités professionnelles, je n'étais pas inspiré). Bref, elle a vu la liseuse. Et je ne sais plus après si je lui ai proposé de lui lire le texte. Non en fait, je crois qu'elle n'était pas disposée. On a commandé un café et oublié Bonnefoy, une bonne fois pour toutes. Que c'est drôle !

    Mais dans l'après-midi, j'ai copié le poème sur mon sous-main. J'ai réfléchi à la question. L'homme est plus fort que le cosmos car il a conscience de lui-même. Des planètes ou des galaxies sont entrées en collision, des comètes ont fait vaciller la Terre et malgré leurs puissances astronomiques, la fracture totale ne s'est pas produite et la vie est advenue. 

    La femme est la création ultime d'un dessein dont nul ne sait le pourquoi du comment. Elle est dépendante des éléments (astreinte) mais elle est libre, plus libre que la flore (les vents les plus hauts) qu'une tempête peut abattre. Et cette puissance humaine est innée, elle naît dès la naissance et est déjà plus forte que les étoiles qui sont tributaires des aléas du chaos de l'univers. 

    Loïc LT

    Poème de Yves Bonnefoy extrait du recueil Hier régnant désert ( 1958)

     

    Combien d'astres auront franchi
    La terre toujours niable,
    Mais toi tu as gardé claire
    Une antique liberté.

    Es-tu végétale, tu
    As de grands arbres la force
    D'être ici astreinte, mais libre
    parmi les vents les plus hauts.

    Et comme naître impatient
    Fissure la terre sèche,
    de ton regard tu dénies
    Le poids des glaises d'étoiles.

  • # poésie contemporaine : Élégie - Guillevic

    Élégie

    Lorsque nous tremblions
    L'un contre l'autre dans le bois
    Au bord du ruisseau,

    Lorsque nos corps
    Devenaient à nous,

    Lorsque chacun de nous
    S'appartenait dans l'autre
    Et qu'ensemble nous avancions,

    C'était alors aussi
    La teneur du printemps

    Qui passait dans nos corps
    Et qui se connaissait

    Guillevic ("Sphère" - éditions Gallimard, 1963)

     

    Ma stratégie fonctionne à merveille. Plus je parle de poésie contemporaine, plus l'audience du blog diminue. Ainsi, tout revient comme avant. Ceci va redevenir un  petit blog secret, que même Google ne référencera plus ou alors au bout d'une longue et laborieuse recherche. Pour vivre heureux, vivons cachés, entourés de recueils de Guillevic, Francis Ponge (ou Francis, ton tour viendra -), de Paul-Alexis Robic dont la bibliothèque de Quistinic porte le nom et tant d'autres encore.

    J'essaie d'être en osmose avec les saisons. Donc, continuons avec le printemps...qui est évident car, voyez cette photo prise cet après-midi au lieu-dit La Coulée Verte à Baud :

    DSC00626.JPG

    Ce poème de Guillevic aurait très pu être écrit au bord du ruisseau qui coule au milieu de ce parc. Après tout, il n'est pas exclu que Guillevic qui était de Carnac ne soit pas passé un jour par Baud. Qui peut dire le contraire ? (si un jour tu vois qu'une pierre te sourit, iras-tu le dire ?) Admettons. Il se promène dans le parc et invente des vers et puis rencontre une Baldivienne. Ils s'assoient sur un banc sur lequel on vient de refaire la peinture mais ils n'ont pas vu l'écriteau mais ils s'en foutent. Ils se sont reconnus au premier regard, ce sont des poètes tous les deux, des rêveurs, des êtres contemplateurs en marge de la société. Ils ne voient de la vie que ceux que les autres ne voient pas. 

    Il devait faire froid ce jour-là, comme souvent en mars ou en avril et d'autant plus lorsqu'on s'installe au bord d'un ruisseau, à même le sol humide. Ils se touchent quand même mais les corps ne se réchauffent pas si facilement par un simple contact. 

    Alors , ils se sentent bien, leurs corps leur appartiennent enfin et ne sont plus utilisés à des fins mercantiles ou autres affaires humaines.  Quand on se sent si bien et qu'on a le sentiment de se connaître depuis longtemps, il n'y a pas besoin de parler pour se rapprocher. Les corps suffisent. Le langage n'est utile que lorsqu'on n'ose pas laisser parler nos corps. Ce couple avançait par la simple communion des corps. Et puis, aidée de la nature qui s'éveille autour, comme ce saule, comme ces fleurs printanières, le couple n'est plus qu'un corps qui se connait. 

    Loïc LT

     

  • Philippe Jacottet, suite !

    Dans la série "tentative de compréhension d'un poème contemporain",  j'ai envie de continuer avec Philippe Jaccottet car je sais que vous êtes devenus amoureux de sa poésie depuis la dernière note qui lui fut consacrée. 

     

    Les eaux et les forêts, partie 1

    La clarté de ces bois en mars est irréelle, tout est encor si frais qu'à peine insiste-t-elle.
    Les oiseaux ne sont pas nombreux; tout juste si, très loin, où l'aubépine éclaire les taillis, le coucou chante.
    On voit scintiller des fumées qui emportent ce qu'on brûla d'une journée, la feuille morte sert les vivantes couronnes, et suivant la leçon des plus mauvais chemins, sous les ronces, on rejoint le nid de l'anémone, claire et commune comme l'étoile du matin.

     

    C'est un poème d'actualité, on est en mars ! C'est fou mais je n'ai pas vu passer l'hiver. J'ai l'impression qu'une seule nuit a séparé octobre et mars. C'est la première fois que j'ai ce sentiment. Je ne l'explique pas. Heureusement que je n'ai pas attendu l'hiver pour lui dire que je l'aimais car j'ai fait l'impasse sur la saison crépusculaire..

    Non, mais sérieux Philippe, tu t'affirmes comme un poète contemporain et tu écris encore encore sans E. Depuis Mallarmé, c'est ringard de ne pas mettre de E à encore !

    Oui, en mars, le soleil est encore trop faiblard et il fait encor(e) frais pour que la lumière éblouie. Inutile donc qu'elle insiste et le soleil a tout a fait le droit d'économiser de l'hydrogène. Je ne connais pas l'aubépine, je veux bien croire que comme le crocus ou la narcisse, elle fleurisse en mars par contre, une chose est certaine : le coucou ne chante pas en mars, en tout cas pas en Bretagne. On peut l'entendre au plus tôt mi-avril, je dirais...mais en mars, Philippe, non ! 

    On voit scintiller des fumées qui emportent ce qu'on brûla d'une journée

    C'est tellement simple à comprendre qu'on se demande si c'est vraiment du Jaccottet ou alors, il était vraiment fatigué le jour où il a écrit ça parce qu'avec les coucous, ça fait beaucoup ! Ensuite, et bien, je cherche encore que sont les vivantes couronnes qui servent aux feuilles mortes. Une feuille morte est très fragile et encore plus au mois de mars où elle est dans un état de décomposition avancé, alors en quoi peut-elle servir à quelque chose ? Les feuilles mortes sont au ras du sol, elles n'ont plus la force de s'envoler à part peut-être lorsque des tourbillons, annonçant souvent l'orage les dérangent. Mais ça nous avance pas sur les vivantes couronnes. Elles doivent signifier quelque chose dans l'esprit du poète. Il vit encore mais il est très vieux, on peut toujours lui demander.  

    Peut-être l'indication comme quoi il emprunte des mauvais chemins où poussent des ronces qui cachent des anémones peut-elle nous aider mais pas vraiment. Bon, les ronces gardent l'essentiel de leurs feuillages en hiver, on est d'accord. L'autre jour, j'ai taillé ma haie de thuyas et j'en ai enlevé plein et les méchantes m'ont griffé et je me souviens qu'elles avaient encore des feuilles. Les anémones qui sont avant tout des plantes couvre-sol (et qui peuvent donc se laisser envahir par les ronces)  survivent à l'hiver et commencent souvent à fleurir en mars. Mais qui est donc ce "on" qui rejoint le nid de l'anémone...un promeneur botaniste qui en a vu d'autres et qui trouve ça normal de trouver des anémones au bord des chemins perdus ? L'étoile du matin ne peut-être que le soleil et donc, le poète ferme la boucle ouverte avec la faible clarté que cette étoile diffuse.

    Je n'ai fait qu'un commentaire linéaire mais quel est le sens de tout ça ? Faut-il lire la suite du poème pour en trouver l'explication ou bien, doit-on se contenter d'un poème bucolique qui n'a d'autre but que de décrire un sous-bois au début du printemps ? Est-ce une réponse à Rimbaud qui embrassa l'aube d'été ? Trop bling bling, l'aube d'été, un poète contemporain va préférer l'aube d'une nouveau printemps. 

    Cette question ne devrait pas m'empêcher de dormir, ni Gérard Larcher, ni vous. Mais quand même...les vivantes couronnes. Là est la clé du poème.

    Chers amis de la poésie, bonsoir !

    Loïc LT

  • Frère et soeur ( Michel Leiris )

    Pour faire descendre l'audience de son blog (que, sans fausse modestie, je trouve trop élevée ce ce moment), quoi de plus facile que de faire dans la poésie contemporaine ! 

    Mais cette note est une note à part entière et je la dédie à ma sœur. 

     

    Frère et sœur

    comme l'aiguille et le fil

    comme la larme et l'œil

    comme l'aile et le vent

     

    Frère et sœur

    comme la flèche et l'arc

    comme la foudre et le nuage

    comme les veines et le sang

     

    Un vent dur soufflera

    qui tarira la langue habile des sources

    fendillera les poteries d'argile noire

    dans la cave des gosiers

     

    Retournerons-nous jamais

    à nos moiteurs sacrées

    néfastes seulement pour ce qui craint la rouille

    nous qui sommes du fond de la mer?

     

    Il vous faut une explication ou vous êtes grands maintenant ? Michel Leiris est quand même plus abordable que Saint-John Perse ( dont je reparlerai).

    Les deux premières strophes se passent de commentaire. Ensuite, il faut comprendre que la complicité qui unit le frère et la sœur peut être mise à mal par le temps qui passe (métaphore du vent dur) et qui efface les joies de l'enfance et ce qui reste de l'enfance...au fond de la cave où sont entassés les vieilles bouteilles de cidre frelaté que faisait notre père. Je me souviens qu'on piétinait les pommes mélangées avec de la paille. Moi, je l'ai fait toujours, enfin, je crois. Pour bien écraser les pommes et faire couler le jus. Son cidre était imbuvable d'ailleurs, on n'en buvait jamais. Enfance ! On ne buvait jamais sauf quand on avait des invités. Notre père supportait peu l'alcool. 

    Dernière strophe. Cela se complique. Une question est posée qui sous-entend une réponse négative. On ne retournera évidemment pas à cette forme de "sacré" qui entoure l'enfance. Ma patrie, c'est l'enfance écrivait Marthe Bibesco. La patrie est un mot que je déteste mais si on lui retire sa connotation patriotique, il peut retrouver une certaine saveur et s'il s'agit de l'enfance, et bien, cette patrie a quelque chose de sacrée. 

    Un jour, il n'y a pas si longtemps, ma sœur avait scandé à des gens proches réunis autour d'elle "vous êtes mon terreau" et ça a fait son effet. Ce fut le clou de la soirée où étaient réunis des gens qui avaient partagés son enfance. Retournerons-nous jamais à nos moiteurs sacrées néfastes seulement pour ce qui craint la rouille nous qui sommes du fond de la mer ? Mon enfance ne fut pas un long fleuve tranquille - je ne vais pas m'étendre - mais je n'en garde pas un mauvais souvenir et je ne crains donc pas la rouille dont le temps la couvre inexorablement.

    Le fond de la mer ? Oui, l'homme est né dans l'océan...la soupe primitive dont le hasard a fait naître une cellule vivante... ou bien le poète n'a-t-il pas voulu parler de cette même matrice dont sont tous les deux issus le frère et la sœur ?

    Loic LT