Connaissant ma passion pour le poète, des gens bien intentionnés m'avaient offerts il y a quelques années une bouteille de Gaillac intitulée Raimbault..mais évidemment, il n'était pas question de ce cher Arthur. D'ailleurs, voici ce qu'indique l'étiquette :
De Raimbault, on dit ici qu'il était troubadour. Qu'il allait de bastide en château. De ferme en village. Chantant le bonheur de vivre libre, l'amour et la bonne chère. C'est aujourd'hui en son hommage que ce vin chante à votre table, apportant à tous vos plats une douce convivialité.
J'ai ouvert cette bouteille dimanche dernier et j'ai eu tort de goûter le vin aussitôt car cela m'a laissé une mauvaise impression. Toujours laissé chambrer le vin évidemment (et la carafer, c'est encore mieux). Mais, ensuite, pendant la semaine, je l'ai bu un peu tous les jours et je l'ai beaucoup aimé. Le nez très caractéristique du Gaillac est frais, sur la fraise bien mûre. Le terroir est présent avec des notes épicées et de la réglisse. En bouche, il m'a séduit par la souplesse de ses tanins. J'ai d'ailleurs trouvé ses fruits bien mûrs mais pas confiturés. Et surtout la descente finale est assez aérienne avec une belle longueur. (j'adore le vocabulaire oenologique -))). J'ai donc passé une agréable semaine avec cteu vin qu'accompagnait un bel assortiment de fromages et des endives.
Curieux, j'ai fait quelques recherches sur ce Raimbault. Il s'avère qu'il a vécu dans les années 1100 dans la région de Toulouse et qu'il avait la particularité d'écrire des poèmes avec des mots rares et des rimes difficiles, qu'il multipliait et entassait les synonymes, qu'il utilisait les voyelles aiguës et les consonnes sifflantes et chuintantes pour créer des effets variés imitant les chants d'oiseaux. A ce que j'ai pu lire sur des sites de spécialistes de littérature moyen-âgeuse, son poème la fleur inverse (que je mets ici dans sa transcription moderne) bénéficie d'une certaine aura dans le milieu pour son côté allégorique et hermétique. C'est fou ce qu'on apprend des choses quand on aime le vin rouge ! vin diou
Quand paraît la fleur inverse
Sur rocs rugueux et sur tertres,
- Est-ce fleur? Non, gel et givre
Qui brûle, torture et tronque! -
Morts sont cris, bruits, sons qui sifflent
En feuilles, en rains, en ronces.
Mais me tient vert et joyeux Joie,
Quand je vois secs les âcres traîtres.
Que plaines me semblent tertres,
Je tiens pour fleur neige et givre
Et pour chaud le froid qui tronque,
L'orage m'est chant qui siffle
Et feuillues me semblent ronces.
Si lié ferme suis à Joie
Que rien ne vois qui me soit traître.
Sinon gens à tête inverse
(Comme nourris sur des tertres),
Qui me cuisent plus que givre
Car tous de leur langue tronquent,
Parlant d'une voix qui siffle!
Rien n'y sert, ni rains ni ronces
Ni menace. Ils ont grand Joie
Faisant ce qui les fait traîtres.
D'un baiser, je vous renverse;
Rien n'y peut, ni plat ni tertres,
Dame, ni gel, neige ou givre,
Car si Non-Pouvoir m'en tronque,
Dame, pour qui mon chant siffle,
Vos beaux yeux sont pour moi ronces
Qui frappent tant mon coeur en Joie
Que je n'ose avoir désir traître.
Je vais comme chose inverse,
Cherchant rocs et vaux et tertres,
Triste, tel celui qui givre
Tenaille, torture et tronque:
Pas plus que clerc fou les ronces
Ne m'ont conquis chants qui sifflent.
Mais, grâce à Dieu, m'accueille Joie
En dépit des faux flatteurs traîtres.
Aille mon vers - je l'inverse:
Qu'il résiste à bois et tertres! -
Là où n'est ni gel ni givre
Ni force de froid qui tronque.
Qu'il le chante clair et siffle
- Que ma dame ait au coeur ronces! -
Celui qui sait chanter en Joie:
Ce qui ne sied à chanteur traître.
Douce Dame, qu'Amour et Joie
Nous unissent malgré les traîtres!
Jongleur, j'ai bien moins que de Joie;
Vous parti, je fais mine traître.