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Colin sabre et tam-tam - Page 46

  • un automne avec Proust (6-10%)

    C'est dans le paquebot MS Pont-Aven me ramenant d'Irlande (j'évoquerai ce voyage) que j'ai atteint les 10% de la Recherche. Nous étions le 5 novembre, Il était 5 heures du matin, j'avais appris la veille le décès de ma grand-mère (dont je salue ici la mémoire). Le paquebot s'éveillait tranquillement, la mer était correctement mouvementée et n'arrivant plus à dormir,  je venais de sortir discrètement de la cabine (où mes trois compagnons dormaient). J'étais seul dans un salon du niveau 5 et j'apercevais au loin les lumières de Roscoff. 

    Je suis au coeur d'un amour de Swann, ce roman dans le roman dans lequel le narrateur revient (alors qu'il n'est pas encore né) sur les débuts de le relation entre Odette de Crécy et Charles Swann. Le salon Verdurin dont font partie les deux amoureux (et Odette avant tout qui y a fait entrer Swann) en est le centre de gravité. C'est un salon de gens pédants, se trouvant au dessus de la masse moyenne des mondains et dans lequel on se moque des 'ennuyeux'. Mais le narrateur n'a de cesse de les ridiculiser et ce sont là encore se sont de savoureux moments de lecture.  

    A propos du docteur Cottard, par exemple :

     Le docteur Cottard ne savait jamais d’une façon certaine de quel ton il devait répondre à quelqu’un, si son interlocuteur voulait rire ou était sérieux. Et à tout hasard il ajoutait à toutes ses expressions de physionomie l’offre d’un sourire conditionnel et provisoire dont la finesse expectante le disculperait du reproche de naïveté, si le propos qu’on lui avait tenu se trouvait avoir été facétieux. Mais comme pour faire face à l’hypothèse opposée il n’osait pas laisser ce sourire s’affirmer nettement sur son visage, on y voyait flotter perpétuellement une incertitude où se lisait la question qu’il n’osait pas poser : « Dites-vous cela pour de bon ? » Il n’était pas plus assuré de la façon dont il devait se comporter dans la rue, et même en général dans la vie, que dans un salon, et on le voyait opposer aux passants, aux voitures, aux événements un malicieux sourire qui ôtait d’avance à son attitude toute impropriété, puisqu’il prouvait, si elle n’était pas de mise, qu’il le savait bien et que s’il avait adopté celle-là, c’était par plaisanterie.

    Ou à propos de Mme Verdurin (qui dans les pages précédentes, prenant au sens propre des expressions figurées demanda  l'intervention du docteur Cottard afin de remettre sa mâchoire qu'elle avait décrochée pour avoir trop ri) :

    De ce poste élevé elle participait avec entrain à la conversation des fidèles et s'égayait de leurs " fumisteries", mais depuis l'accident qui était arrivé à sa mâchoire, elle avait renoncé à prendre la peine de pouffer effectivement et se livrait à la place à une mimique conventionnelle qui signifiait, sans fatigue ni risques pour elle, qu'elle riait aux larmes. Au moindre mot que lâchait un habitué contre un ennuyeux ou contre un ancien habitué rejeté au camp des ennuyeux - et pour le plus grand désespoir de M. Verdurin qui avait eu longtemps la prétention d'être aussi aimable que sa femme, mais qui riant pour de bon s'essoufflait vite et avait été distancé et vaincu par cette ruse d'une incessante et fictive hilarité - elle poussait un petit cri, fermait entièrement ses yeux d'oiseau qu'une taie commençait à voiler, et brusquement, comme si elle n'eût eu que le temps de cacher un spectacle indécent ou de parer à un accès mortel, plongeant sa figure dans ses mains qui la recouvraient et n'en laissaient plus rien voir, elle avait l'air de s'efforcer de réprimer, d'anéantir un rire qui, si elle s'y fût abandonnée, l'eût conduite à l'évanouissement.

    Je finis un amour de Swann, ensuite j'abandonne Proust mais juste le temps de lire  le prix Goncourt.

  • l'érable

    J’ai inventé aujourd’hui un poème qui vaut ce qu'il vaut. C’est un sonnet en hexasyllabes pas trop mal embranché (ça tombe bien, il est question d’un arbre) mais qui tombe un peu à plat (et sinon je cherche un autre mot que platitude, à bon entendeur). Le plus gros arbre de notre propriété est un érable et en général il commence à perdre ses feuilles dès la mi-août (sauf cette année).

    Je ne considère d'ailleurs pas vraiment cet écrit comme un poème. J’essaie juste de faire des phrases normales, des choses que l’on peut dire au quotidien et d’insérer des rimes dans ces phrases tous les six pieds. J’aime la puissance de la rime, j’aime quand ça claque en fin de vers. La rime donne de l’énergie à un écrit. J'aime aussi qu'il y ait une musique, un peu à la Verlaine, que la musique emporte naturellement le lecteur vers le dernier mot. Mon modèle en la matière, c'est Henri Thomas. Après, je me le récite à moi-même en conduisant ou ailleurs et j’en tire un plaisir particulier. C’est comme une friandise que je mâche et qui ne fond jamais.


    Voici les feuilles mortes

    Tombant sur la chaussée

    Alors qu’août nous exhorte

    A rester dénudés.


    Car l’érable pressé

    De perdre un peu de poids

    Lâche au cœur de l’été

    Ce qui fait son éclat.


    Et devant ce spectacle

    De la décrépitude

    Jamais je ne renâcle


    Muni de mes outils

    A rendre au sol meurtri

    Sa noble platitude.

     

    llt

     

  • retour dans le Saskatchewan (suite lecture 'Canada', Richard Ford)

    Le Saskatchewan est une province du Canada dont j'ai découvert l'existence dans le roman Canada de Richard Ford. Le narrateur, Dell, 15 ans doit fuir précipitamment les Etats-Unis afin d'échapper aux services sociaux après que ses parents eussent commis le braquage d'une banque. Une amie de sa mère (désormais en prison) l'expédie donc au Canada, dans cette province donc, qui sera le sujet de cette note. Les descriptions de Richard Ford de cette région dépeuplée et composée de champs à perte de vue sont saisissantes. Cela m'a donné envie d'en savoir plus et d'aller voir sur place via Google Map. Allons donc sur les pas de Dell au cœur de ce Canada hostile et désespérément plat. 

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    L'axe 225 traverse la partie centrale de la région d'Est en Ouest. Elle ne rencontre aucun obstacle géologique nécessitant la construction de tunnels ou de ponts. C'est une route avec très peu de virages et une ligne électrique ou téléphonique l'accompagne dans son voyage monotone.

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    Le véhicule de Google a emprunté cette route en juin 2009 or je constate que tous les champs sont vides de culture. Pourtant, on devine clairement que ce sont des champs cultivés. J'en déduis donc qu'on vient d'y récolter du colza. Je précise par ailleurs que je n'ai pas vu un seul engin agricole lors de ce périple de plus de 100 kms. 

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    Âme qui vive ! Avec un quad à côté de lui. On ne le voit pas bien sur la photo (mais mieux sur Map) mais le type semble être surpris en voyant passer le véhicule Google. Il faut dire que ce dernier ne passe pas inaperçu...surtout en ces lieux inhabités.

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    Sur la gauche de la route, un petit village avec des mini-silos, une cabane en bois mal en point et sinon une maison correcte mais pas de motel..C'est pas le tout mais je commence à être fatigué.

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    Première enseigne où l'on pourrait potentiellement accueillir un voyageur épuisé...le foyer Jesus Marie. Ce sera sans moi !

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    Au milieu de nulle part, des gens s'emmerdent à tondre impeccablement leur pelouse. Tout cela manque quand même d'un peu de couleurs...et de bambous !

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    Là, par contre, point de pelouse mais un champ fraîchement préparé sur lequel sont posées des cabanes...pour qui, pour quoi...

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    Voici le seul véhicule que j'ai croisé lors de ce long périple virtuel.

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    Et ça continue sans fin, toujours la même chose..en haut de ce faux plat peut-être, derrière ce qui ressemble à un bosquet (ou serait-ce un simple fourré), une autre histoire commence-t-elle ?

  • un automne avec Proust ( 5-6%)

    Le livreur de fuel est arrivé ce matin à 7:30. Il a frappé à la porte et comme je me croyais en pleine nuit, j'étais terrifié. Prisca m'a dit 'on a frappé'. J'étais mort de trouille. Il faut savoir que nous disposons au dessus de notre tête de lit d'un meuble beau mais pas pratique qui nous sert de table de chevet mais le soucis est qu'il faut se redresser et tourner la tête pour voir l'heure (Marcel Proust aurait détesté). C'est donc ce que j'ai fait et quand j'ai vu l'heure, j'ai été soulagé et j'ai tout de suite compris que le maudit livreur avait un peu d'avance. N'empêche que mon cœur a battu très fort pendant une demie heure. Le livreur parti, je n'ai pas pu me rendormir et je me suis donc replongé dans la recherche pendant une heure et c'est pendant cette phase de lecture que j'ai atteint les six pour cent. 

    Cette partie se termine par les promenades du narrateur du côté de Guermantes qui en général sont de longues promenades car s'il était assez simple d'aller du côté de Méséglise, c'était une autre affaire d'aller du côté de Guermantes, car la promenade était longue et l'on voulait être sûr du temps qu'il ferait. On apprend aussi dans la partie 'Combray' qu'il y avait autour de Combray deux côtés pour les promenades; et si opposés qu'on ne sortait pas en effet de chez nous par la même porte, quand on voulait aller d'un côté ou de l'autre : le côté de Méséglise-la-Vineuse, qu'on appelait aussi le côté de chez Swann et le côté de Guermantes

    De cette partie que j'ai achevé ce matin, alors que dehors tombait une pluie battante  (plaisir d'être au lit le samedi matin et d'entendre la pluie), je retiens ce passage où le narrateur évoque les nénufars (orthographiés ainsi) de la Vivonne (cours d'eau qui traverse Combray et qui dans la réalité correspondrait au Loir) :

    Bientôt le cours de la Vivonne s'obstrue de plantes d'eau. Il y en a d'abord d'isolées comme tel nénufar à qui le courant au travers duquel il était placé d'une façon malheureuse laissait si peu de repos que, comme un bac actionné mécaniquement, il n'abordait une rive que pour retourner à celle d'où il était venu, refaisant éternellement la double traversée. Poussé vers la rive, son pédoncule se dépliait, s'allongeait, filait, atteignait l'extrême limite de sa tension jusqu'au bord où le courant le reprenait, le vert cordage se repliait sur lui−même et ramenait la pauvre plante à ce qu'on peut d'autant mieux appeler son point de départ qu'elle n'y restait pas une seconde sans en repartir par une répétition de la même manœuvre  Je la retrouvais de promenade en promenade, toujours dans la même situation, faisant penser à certains neurasthéniques au nombre desquels mon grand−père comptait ma tante Léonie, qui nous offrent sans changement au cours des années le spectacle des habitudes bizarres qu'ils se croient chaque fois à la veille de secouer et qu'ils gardent toujours ; pris dans l'engrenage de leurs malaises et de leurs manies, les efforts dans lesquels ils se débattent inutilement pour en sortir ne font qu'assurer le fonctionnement et faire jouer le déclic de leur diététique étrange, inéluctable et funeste. Tel était ce nénufar, pareil aussi à quelqu'un de ces malheureux dont le tourment singulier, qui se répète indéfiniment durant l'éternité, excitait la curiosité de Dante, et dont il se serait fait raconter plus longuement les particularités et la cause par le supplicié lui−même, si Virgile, s'éloignant à grands pas, ne l'avait forcé à le rattraper au plus vite, comme moi mes parents.

    Chers amis lecteurs (chaque jour plus nombreux depuis qu'il est question de Proust-), nous ne verrons plus les nénufars de la même façon. 

    llt 

     

  • un automne avec Proust

    La Recherche. 20 ans déjà ! 20 ans que j’ai lu le pavé de Proust et hasard du calendrier, voici que je m’y suis remis sur ma kindle (si j’avais imaginé en 1993 lire sur tel support alors qu’à l’époque je n’avais jamais touché un ordinateur). A court d’idée de lecture, j’ai donc débuté l’air de rien, sans trop y croire, sans me mettre la pression avec dans l’idée de tout arrêter dès la première lassitude. J’ai commencé avant de lire Canada de Richard Ford (compte rendu indigne d’ailleurs) et puis j’ai repris après. J’en suis à 5% et selon mes calculs, 1% égalant 60 pages, cela fait 300 pages (sur 3000 que compte l'oeuvre). Que voilà des précisions mathématiques bien dérisoires à côté du plaisir purement littéraire que je prends à lire Proust, un plaisir agrémenté de fous rires, car Proust me fait beaucoup rire. Ce qui est compliqué dans La Recherche ce n’est pas l’histoire, car cette dernière est très simple, (si tant est qu’il y en ait une), ce qui est compliqué c’est la longueur des phrases dont il m’est difficile parfois d’en défaire l'écheveau. Quand j’en ai vraiment envie, je la relis plusieurs fois mais avant tout si elle me procure un plaisir d’ordre esthétique ou bien si elle me donne l'impression de contenir une impression ou une idée communément partagée et quand j’en n'ai pas envie et bien je passe mon chemin, ce n’est pas trop grave, la Recherche, c’est un peu comme les feux de l’amour, on peut rater plusieurs épisodes sans être perdu.

    Je crois que 'à la recherche du temps perdu' (il faut appeler un chat un chat) est le roman qui s'accommode le plus à la lecture sur liseuse électronique. Je me souviens lors de ma première lecture, il y a vingt ans (faite essentiellement sur les poches avec la cathédrale de Rouen en couverture), je soulignais et annotais les sublimes passages et mettais beaucoup de temps ensuite à les retrouver. Avec la kindle, tout cela est simplifié évidemment et puis il existe aussi cette fonction recherche qui permet de retrouver en deux clics toutes les occurrences d’un mot( procédé largement utilisé par François Bon dans son essai Proust est une fiction (que je suis en train de lire sporadiquement)).

    Je ne sais pas combien de temps ça va mettre (peu importe) ni même si j’irai jusqu’au bout et je ne sais pas non plus comment je vais en faire profiter les trois lecteurs de ce blog, tout est possible.  Et comme disent les gens qui n’ont rien à dire, on verra (genre Deschamps qui, quand on lui demande quelle équipe il préfère que la France affronte en barrage répond prioritairement ‘on verra’, ça mange pas de pain et c’est sûr, on verra !).

    Pourquoi ‘Legrandin & cie’ ? Parce que Legrandin est le personnage qui me fait le plus rire. C’est un personnage secondaire certes, qui n'apparaît je crois que dans ‘du côté de chez Swann’ mais dont la personnalité et les grimaces sont disséquées par le narrateur avec une minutie et un humour inégalé.

    En guise d’apéritif, il sera donc question de Legrandin (emplacement 2652 sur 57226, page 129 du tome 1 collection la pléiade). Le narrateur et son père croisent ledit Legrandin au bord de la Vivonne (rivière qui traverse Combray, bourg normand où se situe l’action, il faut tout vous dire) Le père du narrateur (dont on ne saura jamais le nom) n’est pas sans savoir que la sœur de Legrandin, une certaine Mme de Cambremer habite à Balbec, station balnéaire normande où doivent justement se rendre pour deux mois sa femme et le narrateur et il a la désir de se faire rencontrer tout ce petit monde, ce qui pour une raison mystérieuse ne semble pas être du goût de ce snob de son interlocuteur :

    — Ah ! est-ce que vous connaissez quelqu’un à Balbec ? dit mon père. Justement ce petit-là doit y aller passer deux mois avec sa grand’mère et peut-être avec ma femme.

    Legrandin pris au dépourvu par cette question à un moment où ses yeux étaient fixés sur mon père, ne put les détourner, mais les attachant de seconde en seconde avec plus d’intensité — et tout en souriant tristement — sur les yeux de son interlocuteur, avec un air d’amitié et de franchise et de ne pas craindre de le regarder en face, il sembla lui avoir traversé la figure comme si elle fût devenue transparente, et voir en ce moment bien au delà derrière elle un nuage vivement coloré qui lui créait un alibi mental et qui lui permettrait d’établir qu’au moment où on lui avait demandé s’il connaissait quelqu’un à Balbec, il pensait à autre chose et n’avait pas entendu la question. Habituellement de tels regards font dire à l’interlocuteur : « À quoi pensez-vous donc ? » Mais mon père curieux, irrité et cruel, reprit :

    — Est-ce que vous avez des amis de ce côté-là, que vous connaissez si bien Balbec ?

    Dans un dernier effort désespéré, le regard souriant de Legrandin atteignit son maximum de tendresse, de vague, de sincérité et de distraction, mais, pensant sans doute qu’il n’y avait plus qu’à répondre, il nous dit :

    — J’ai des amis partout où il y a des groupes d’arbres blessés, mais non vaincus, qui se sont rapprochés pour implorer ensemble avec une obstination pathétique un ciel inclément qui n’a pas pitié d’eux.

    — Ce n’est pas cela que je voulais dire, interrompit mon père, aussi obstiné que les arbres et aussi impitoyable que le ciel. Je demandais pour le cas où il arriverait n’importe quoi à ma belle-mère et où elle aurait besoin de ne pas se sentir là-bas en pays perdu, si vous y connaissez du monde ?

    — Là comme partout, je connais tout le monde et je ne connais personne, répondit Legrandin qui ne se rendait pas si vite ; beaucoup les choses et fort peu les personnes. Mais les choses elles-mêmes y semblent des personnes, des personnes rares, d’une essence délicate et que la vie aurait déçues. Parfois c’est un castel que vous rencontrez sur la falaise, au bord du chemin où il s’est arrêté pour confronter son chagrin au soir encore rose où monte la lune d’or et dont les barques qui rentrent en striant l’eau diaprée hissent à leurs mâts la flamme et portent les couleurs ; parfois c’est une simple maison solitaire, plutôt laide, l’air timide mais romanesque, qui cache à tous les yeux quelque secret impérissable de bonheur et de désenchantement. Ce pays sans vérité, ajouta-t-il avec une délicatesse machiavélique, ce pays de pure fiction est d’une mauvaise lecture pour un enfant, et ce n’est certes pas lui que je choisirais et recommanderais pour mon petit ami déjà si enclin à la tristesse, pour son cœur prédisposé. Les climats de confidence amoureuse et de regret inutile peuvent convenir au vieux désabusé que je suis, ils sont toujours malsains pour un tempérament qui n’est pas formé. Croyez-moi, reprit-il avec insistance, les eaux de cette baie, déjà à moitié bretonne, peuvent exercer une action sédative, d’ailleurs discutable, sur un cœur qui n’est plus intact comme le mien, sur un cœur dont la lésion n’est plus compensée. Elles sont contre-indiquées à votre âge, petit garçon. « Bonne nuit, voisin », ajouta-t-il en nous quittant avec cette brusquerie évasive dont il avait l’habitude et, se retournant vers nous avec un doigt levé de docteur, il résuma sa consultation : « Pas de Balbec avant cinquante ans, et encore cela dépend de l’état du cœur », nous cria-t-il.

    Mon père lui en reparla dans nos rencontres ultérieures, le tortura de questions, ce fut peine inutile : comme cet escroc érudit qui employait à fabriquer de faux palimpsestes un labeur et une science dont la centième partie eût suffi à lui assurer une situation plus lucrative, mais honorable, M. Legrandin, si nous avions insisté encore, aurait fini par édifier toute une éthique de paysage et une géographie céleste de la basse Normandie, plutôt que de nous avouer qu’à deux kilomètres de Balbec habitait sa propre sœur, et d’être obligé à nous offrir une lettre d’introduction qui n’eût pas été pour lui un tel sujet d’effroi s’il avait été absolument certain — comme il aurait dû l’être en effet avec l’expérience qu’il avait du caractère de ma grand’mère — que nous n’en aurions pas profité.

    Avec Proust, plus c’est long, plus c’est bon. Ce passage me fait mourir de rire. Legrandin utilisant des trésors d’ingéniosité pas crédibles  pour cacher au père du narrateur qu’il a une sœur à Balbec est pathétique. Sinon, pour l’anecdote, on notera dans cette partie la seconde occurrence bretonne dans La Recherche, pas forcément à sa gloire puisque la baie de Balbec ne serait pas bonne pour les enfants car ‘déjà à moitié bretonne’.

    llt (et mp). 17.10.2013


     

  • CR250 : Canada - Richard Ford

    51ccD+ZffXL.jpgLire un roman américain, c’est revenir à l’essence même de la littérature : une histoire captivante, un plan bien ficelé et une écriture limpide sans effets de style. Telle est la littérature comme la conçoivent les écrivains américains, disais-je à un de mes contacts anglophones sur ‘un célèbre réseau social’ dont la décence m’empêche de dire le nom. Et elle me répondit alors ‘ Mais ce n'est pas vrai. Si tu lis un livre d'histoire de la littérature américaine, tu verras que les plus grands noms ont une approche expérimentale. Cette approche est en plus facilitée par une langue bien plus flexible que le Français. Que cela ne fonctionne pas pour toi, je comprends, mais il ne faut pas dire que cela n'existe pas car c'est tout simplement faux.

    Mais je n’en démords pas. Je n’ai aucune culture universitaire (contrairement à ce contact) mais je reste persuadé qu’à quelques rares exceptions, les auteurs américains considèrent la langue plus comme un outil que comme un terrain d’expérimentation.Richard Ford se situe, avec Philip Roth (qui mérite le prix Nobel), Jay Mccinerney, Douglas Kennedy dans cette tradition et ce magnifique ‘Canada’ qui vient de sortir et que je viens d’engloutir le confirme, avec évidemment une patte particulière car chacun possède malgré tout sa personnalité, sa sensibilité.

    L’originalité de ce roman tient de la personnalité du narrateur (un vieil homme qui se souvient des événements peu communs ayant marqués son adolescence) : un personnage d’une grande sensibilité sur qui, paradoxalement,  les épreuves ne semblent pas avoir de prise. Je ne me souviens plus trop de l’étranger de Camus mais j’ai souvent pensé à Meursault en lisant Canada. C’est une impression personnelle qui ne tient peut-être pas la route mais une impression a toujours une signification. et je vous prie de bien vouloir la respecter.

    Mention spéciale à la deuxième partie qui se déroule essentiellement dans la région du Saskatechwan, région hostile du Canada, parsemée de villes fantômes, de champs de blé sans fin et traversée par une ligne de chemin de fer empruntée par un train de marchandises tous les 36 du mois. Notez sur le fond du tableau ces silos à grain plantés au milieu de nulle part et ses puits de pétrole abandonnés. Le narrateur, qui a dû fuir les Etats-Unis précipitamment (suite au braquage insensé et raté commis par ses inconscients de parents) traîne sa misère et ses rêves d’enfants en ses lieux désolés habités par des gens louches, avant de subir à nouveau des événements qui vont marquer sa vie entière. C’est Meursault dans un film des frères Coen (no country for old men)! Roman initiatique (comme on dit), un brin burlesque et épique, Canada laisse beaucoup d’images dans la tête et en suspens, bien des interrogations sur la famille américaine et sur ce degré de folie inhérent à la nature humaine.

     

    lecture :octobre 2013

    kindle. 478 pages

    traduction : Josée Kamoun

    note : 4/5

    Loïc LT 

  • nos nuits sans Levaillant

    sergelevaillant.jpgC’est quelque chose quand même, je viens tout juste d’apprendre que France Inter n’a pas reconduit sous les étoiles exactement en septembre. Déjà l’année dernière, elle n’était plus programmée que le week-end. Je vais être franc avec vous, je l’écoutais rarement, ne la podcastais que de temps en temps. Mais je suis triste quand même car cette émission nocturne me rappelle une période de ma vie, assez courte heureusement où je ne n’étais pas fatigué la nuit. C’est pas que j’étais insomniaque, c’est juste que je n’étais pas fatigué.

    J’ai donc fait la connaissance de Serge Levaillant et de son émission réalisée par un certain Serge ‘Poupoune’ Gandon (notez que j’utilise le ‘certain’ comme il se doit et non de façon galvaudée comme le font nos journalistes se croyant raffinés de l’utiliser pour parler des personnes célèbres...un certain Zidane, un certain Sarkozy…)

    En cette année 2005 où j’étais très à l’écoute du transistor (terme désuet qu’affectait Serge Levaillant), sous les étoiles exactement commençait à 1:00 du matin et faisait suite à une certaine Macha Béranger, icône des sans sommeil , animant une émission de libre antenne faisant un peu trop dans le bon sentiment à mon goût mais que j’écoutais aussi parce que de façon générale j’ai toujours été attiré par le émissions nocturnes, le son des voix, les lumières tamisées, le bruit des briquets.

    Serge Levaillant lui faisait dans la découverte de jeunes chanteurs (c’est chez lui que j’ai découvert l’excellent Manu Larrouy) qui  chantaient en direct dans le studio avant de se faire applaudir par Serge et deux techniciens. Des amateurs, à la timidité excessive, élèves d’un certain Christian  Camerlynck, venaient aussi régulièrement  pousser la chansonnette. Pathétique en même temps qu’émouvant...mais dans tous les cas, nocturne, et c’est le  tranquille rythme de la nuit que je cherchais et cette impression d’être le seul auditeur ou que nous n’étions que quelques-uns, soudés, solidaires et privilégiés.

    L’émission se terminait à 5:00 avec quelques rediffusions d’émissions diurnes, un dernier invité unique et surtout je ne sais plus trop quand dans la nuit, des histoires étranges et très France profonde créées et narrées par Serge lui-même, des histoires qui se passaient en Tarn et Saône, département imaginaire ayant quelque chose de ces territoires centraux aux vastes plaines et petits bourgs sans âme. Le récit était agrémenté de quelques accords de guitare (joués en direct ?) évoquant un peu les étendues arides du far west.

    Serge Levaillant faisait de la radio humaine, chaleureuse et toujours avec beaucoup d’humilité. Je lui tire mon chapeau et lui souhaite de poursuivre sa carrière dans le même état d’esprit.

    Loïc LT

  • pétition contre la réforme des rythmes scolaires

    Attention événement : j’ai décidé de relayer une pétition lancée par un syndicat d’enseignants de gauche (le SNUipp-FSU). Il s’agit de dire non à la réforme des rythmes scolaires.

    J’ai toujours été opposé à cette usine à gaz dont seuls les socialistes peuvent avoir l’idée. Au nom du soi disant rythme chronobiologique de l’enfant, on décide de leur enlever la grasse matinée du mercredi matin...pour quoi en contrepartie, des journée d’école qui finissent plus tôt et qui se prolongent par une prise en charge diverse et variée par les communes, pendant moins d’une heure d’activité d’éveils. Au bout du compte, la journée de l’enfant n’est pas raccourcie et en plus il a de l’école le mercredi.

    Tour cela n’a ni queue ni tête, coûte cher aux petites communes et perturbe les enfants à qui on demande de changer de cadre pour finir la journée. C’est insensé ! Je n’arrive par à comprendre qu’un seul homme à savoir, Vincent Peillon, ait réussi tout seul à imposer une réforme aussi absurde sans que personne ne dise rien ou trop peu.

    Ma deuxième fille est en CE2 et n’est pas concernée cette année puisque comme les ¾ des communes, Camors a décidé, à juste titre,  de mettre en place cette déformation des rythmes scolaires à la rentrée 2014. Mais ensuite donc, logiquement si ça tient toujours, elle va devoir s’y plier.

    Mais je me demandais un truc :que se passerait-il si une commune refusait de s’y plier ? Il y avait bien avant cette ‘refondation’ (c’est comme ça qu’ils appellent ça en plus...vraiment n’importe quoi) des communes qui avaient des dérogations pour avoir le droit à des rythmes différents que le rythme officiel. Je transmettrais bien cette question avant la prochaine réunion du conseil municipal. Tout le monde serait gagnant : l’enfant déjà et avant tout, les enseignants (qui n’ont pas envie de bosser le mercredi, on les comprend), les parents (qui n’auront pas à supporter des enfants fatigués et énervés le soir) et les finances de la commune.

    Voilà pour ça.

    Sinon, je n’aime pas trop parler des faits divers mais j’ai une grosse pensée pour la petite Fiona. On a tous été choqué par cette affaire...je ne m’habitue jamais à l’idée que des êtres humains, des parents envers leurs enfants encore pire, puissent arriver à ce niveau d’horreur. Cela m’a d’autant choqué que sur la  photo que l’on voit sur la page facebook de sa mère, je trouve qu’elle a le même air canaille que Chloé au même âge.

    Loïc LT

  • CR249 : le sermon sur la chute de Rome - Jérôme Ferrari

    41UB8p0SLDL._AA278_PIkin4,BottomRight,-65,22_AA300_SH20_OU08_.jpgLe voici enfin le roman qui me réconcilie avec la littérature en cette année 2013, jalonnée de beaucoup de déceptions, je dois dire. J’aurais pu lire le sermon sur la route de Rome plus tôt mais les contraintes financières étant ce qu’elles sont, j’ai attendu sa sortie en poche (sur liseuse puisque la nouveauté technique qui date de pas très longtemps je pense, c’est que lorsqu’un roman sort en poche, sa version numérique est moins chère également, même si trop chère encore puisque du même prix que le livre-papier, voire plus, je ne sais plus).

    Je m’égare vers des considérations techniques, c’est mon inconscient qui travaille car j’ai peur de parler de ce roman. Il me dépasse, il est trop fort pour moi et je suis trop petit pour lui. Mais ne nous rabaissons pas. L’enchantement littéraire est accessible à tous.

    Le sermon sur la chute de Rome est un livre ambitieux mais quand même très accessible, je tiens à rassurer ceux que le titre rebuterait. Car en même temps qu’il dégage une certaine puissance, ce titre fait peur, on croit qu’on va lire un sermon sur la chute de Rome. Poouah, mais non, le sermon en question, écrit par Saint-Augustin n'apparaît de temps en temps que pour illustrer la vie très contemporaine de plusieurs générations d’une famille corse touchée par les coups du sort. Mathieu, arrière arrière petit-fils de ses arrières arrières grands parents suspend de brillantes études en philosophie à Paris et rentre au village corse de ses origines afin de reprendre un bar en compagnie de son ami d’enfance Libero. Le duo embauche de jolies filles, un guitariste chanteur et le troquet revit.

    Là est ma petite déception concernant ce roman. J’avais lu lors de sa sortie que ce bar devait pour Mathieu et Libero devenir un havre de paix, et se transformer en ‘meilleur des mondes possibles’, selon les concepts posés par Leibniz et un autre philosophe dont je ne sais plus le nom. Mais tout cela est faux ! le bar est un lieu glamour, les serveuses sont aguicheuses (dont la fameuse Annie qui a ‘la curieuse habitude d’accueillir chaque représentant du sexe masculin qui poussait la porte du bar d’une caresse, furtive mais appuyée, sur les couilles). Ce bar est tout sauf un café-philo. Ce doit être un malentendu. Mais ce n’est pas grave.

    Donc, le bar fonctionne à merveille, les vieux habitués cohabitent avec les jeunes, les couples se roulent des pelles et les serveuses qui logent toutes les quatre à l’étage font le bonheur de tout le monde. Mais cela ne peut pas durer, des tensions apparaissent, Libero devient de plus en plus tendu et autoritaire.

    Mathieu se réjouissait que la stabilité de cet équilibre n'ait finalement pas été menacée, il ne sentait pas les subtiles vibrations du sol sur lequel courait un réseau de fissures denses comme la toile d'une araignée, il ne percevait pas la réticence craintive avec laquelle les filles s'approchaient désormais de Libero

    ...

    Six mois plus tard,sans qu'il se fut aperçu de quoi que ce soit, l'Empire n'existait plus. Est-ce ainsi que meurent les Empires, sans même qu'un frémissement se fasse entendre?

    La chute du bar et de l’empire entrent en résonance. Les phrases toutes aussi belles et envoûtantes les unes que les autres se succèdent. Parallèlement au  destin de ce bar, l'auteur nous embarque parfois à la découverte des vies de personnages secondaires, avec toujours ce même recul et sous l'angle historico-psychanalytique (pardon pour le néologisme). C’est trahir ce roman que de le commenter tant il se suffit à lui-même. Alors pour finir, je laisse une nouvelle fois la parole à l’auteur :

    Virginie n'avait jamais rien fait dans sa vie qui pût s'apparenter, même de loin, à un travail, elle avait toujours exploré le domaine infini de l'inaction et de la nonchalance et elle semblait bien décidée à aller jusqu'au bout de sa vocation.

    lecture : septembre 2013

    Acte Sud. kindle, 208 pages

    sortie: août 2012

    note :4.5/5

     

     

  • l'insoutenable noirceur du nigra

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    J'ai remarqué que le nigra ne s'apprécie vraiment qu'en gros plan. Quand on regarde le bosquet de loin, on ne distingue pas le noir...et encore moins en ce moment je ne sais quels insectes très méchants ont fait leur nid à leurs pieds. Il ne vaut mieux pas s'approcher. J'ai personnellement subi plusieurs attaques terribles et lors de la dernière, ils m'ont poursuivi jusqu'au garage à l'intérieur duquel je me suis foutu à poil tant les piqûres me faisaient mal notamment l'une sur la nuque où un dernier insecte continuait à s'agripper. J'ai eu vraiment peur. Le nid est toujours là, je vois les insectes voler autour, j'ai essayé un insecticide à longue portée mais ils n'ont pas bronché. Au dernières nouvelles, on songe à asperger le nid d'eau bouillante.

    Tout ça pour dire que les nigra sont beaux, surtout à la fin de l'été où les cannes vertes ont fini leurs mutations.