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à la recherche du temps perdu

  • [mes brillantes archives] CR254 : du côté de chez Swann - Marcel Proust

    Comme le blog commence à dater et que je suis un peu en manque d'inspiration et que par ailleurs, j'ai envie de relire Proust (reprendre après 'du côté de chez Swan' que j'avais relu en 2013, je me suis dit, tiens, pour une fois, je vais pas me prendre la tête et fouiller dans mes archives qui ne sont pas forcément brillantes mais pas sombres non plus. 

    Loïc LT 

    compte rendu de lecture, octobre 2013 :

    Plutôt que de faire un compte rendu de cette oeuvre (que j'avais lue il y a 20 ans), j'ai décidé de faire comme si je devais la résumer à mes filles. 

    Du côté de chez Swann expliqué à mes filles.

    Le roman se passe au début du XXème siècle en France. C’est l’histoire d’un garçon adulte qui s’appelle Marcel et qui essaie de se rappeler des souvenirs de son enfance dans le petit village de Combray en Normandie mais il n’en garde pas beaucoup à part le fait qu’il avait du mal à s’endormir surtout lorsque sa maman ne venait pas lui faire un bisou et cela arrivait surtout lorsque la famille recevait le visite d’un dénommé Charles Swann, un monsieur très élégant, cultivé et qui connaissait beaucoup de gens importants à Paris ; du coup Marcel n’aimait pas beaucoup quand Swann venait. Un jour pourtant, le simple fait de manger une madeleine avec un thé lui procure une joie intense et fait remonter du fond de sa mémoire tous ces souvenirs jusque-là inaccessibles. Le narrateur peut commencer sa recherche du temps perdu. 

    Marcel et ses parents vivaient à Paris en hiver et chez une tante à Combray en été. Ils sont plutôt riches et n’ont pas vraiment besoin de travailler pour vivre. A Combray, il y a une église avec un joli clocher et puis plein de gens dont Charles Swann qui y possède une maison (mais il en a aussi une à Paris). Swann est marié avec une jolie poupée qui s’appelle Odette de Crécy et toute une partie est consacrée à la façon dont ces deux-là (un amour de Swann) sont tombés amoureux (et ça se passe bien avant que Marcel ne soit né). Après avoir conquis Odette, Swann devient très jaloux, à en devenir fou si bien qu’Odette en a marre de lui mais finalement il s’en fout car il trouve qu’elle n’est pas son genre. Mais ils se marieront quand même et ils auront un enfant qui s’appellera Gilberte.

    On va faire la connaissance de Gilberte dans la 3ème partie du roman (noms de pays : le nom) , partie dans laquelle Marcel nous informe d’abord que faute de pouvoir voyager (parce qu’il a une santé fragile), il essaie d’imaginer à quoi ressemblent les villes et les autres pays à la simple prononciation de leur nom. Ensuite, nous sommes à Paris en hiver. Un peu par hasard, Marcel et Gilberte deviennent amis en jouant dans un parc près des Champs-Elysées. Quel âge a Marcel, je ne sais pas trop, dans les 12 ans peut-être. Mais lui, c’est plus que de l’amitié qu’il éprouve pour Gilberte, c’est de l’amour ! Il aime Gilberte alors qu’elle, elle considère Marcel avant tout comme un bon ami. Et puis, Marcel devient un peu marteau et devient amoureux de tout l’univers de Gilberte et notamment de ses parents, comme Swann par exemple qu’il détestait tant avant parce que ses visites l’empêchaient d’avoir un bisou de sa maman.

    Voilà un peu près l’histoire. Il ne se passe pas grand-chose dans le roman. Pour Marcel Proust, les sensations comptent plus que les faits et il aime bien décrire les gens physiquement un peu mais surtout psychologiquement, c’est-à-dire qu’il essaie de comprendre pourquoi les gens agissent d’une façon plutôt qu’une autre. Et il le fait très bien, aucun écrivain n’a réussi à le faire aussi bien. Mais il faut s’accrocher car souvent les phrases sont très longues et on s’y perd un peu !

    Loïc LT

    kindle/lecture :octobre 2013, 5/5

  • Proust est une bande dessinée.

    Avant toute chose, je tiens à signaler que j'ai emprunté le titre de la note à François Bon qui a intitulé un récent essai consacré à La Recherche Proust est une fiction. Il vaut mieux prendre les devants même si on n'est que le taulier d'un petit blog peu lu (ce dont je tire une certaine fierté...quand je vois qu'en 2013, sur les 100 plus grosses audiences télé, 99 ont été réalisées par TF1, ça n'a rien à voir me direz-vous, mais quand même). Je ne cherche d'ailleurs pas être lu, tenir ce blog m'oblige à écrire, à garder une certaine activité cérébrale et s'il se trouve que ça peut aussi intéresser des gens, alors tant mieux.

    PC310026.JPGJe voulais pour cette dernière note de l'année 2013 évoquer les bandes dessinées de Stéphane Heuet publiées chez Delcourt. Le type s'est en effet mis en tête d'adapter toute la Recherche en bd, chose qu'il a commencée il y a à peu près 15 ans je crois et qu'il continue tranquillement, sans trop se presser d'ailleurs et sans suivre la chronologie de l'oeuvre puisqu'il vient d'adapter la partie finale de du côté de chez Swann (noms de pays : le nom) alors qu'il avait déjà mis en planches à l'ombre des jeunes filles en fleurs.

    Je ne suis pas un grand spécialiste de bande dessinée mais je crois pouvoir affirmer que celles-ci sont de qualité et que le mérite est d'autant plus grand qu'il fallait quand même oser s'attaquer à ce roman fleuve qui est peut-être la dernière œuvre à laquelle on aurait pensé pour une telle adaptation. Il faut quand même se figurer le style de Proust et cette introspection permanente des âmes que constitue le roman. Le dessinateur a dû déjà dans un premier temps, j'imagine, sélectionner les passages les plus adaptés. A ce niveau-là, ce n'est plus du résumé, c'est du tranchage dans le vif (en dehors de ça, je crois qu'il existe un livre-résumé de la Recherche, une sorte de roman condensé mais je n'ai pas la référence).

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    En dehors des fans de bande dessinée (dont je doute qu'ils soient également des fans de Proust -), je trouve que ces bandes dessinées sont la porte d'entrée toute trouvée pour tous ceux qui n'ont jamais osé lire Proust. Les dessins sont vraiment très beaux, je ne sais pas de quelle école il s'agit mais ils restituent très bien l'ambiance de l'époque, les grands boulevards, les fiacres, les demeures bourgeoises et les soirées mondaines.

    Je tire donc mon chapeau (haut de forme) à son auteur.

    Après, ce serait bien qu'il fasse la même chose avec Ulysse de James Joyce (dont je n'ai jamais pu dépasser les 10 premières pages).

    Le tout est évidemment disponible chez Amazon, fnac ou priceminister pour ceux qui préfèrent l'occasion. Pour l'instant, j'en possède 3 mais d'ici ma retraite (à 72 ans vers là), j'ai bon espoir de pouvoir compléter ma collection !

    Loïc LT

     

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  • un automne avec Proust ( 5-6%)

    Le livreur de fuel est arrivé ce matin à 7:30. Il a frappé à la porte et comme je me croyais en pleine nuit, j'étais terrifié. Prisca m'a dit 'on a frappé'. J'étais mort de trouille. Il faut savoir que nous disposons au dessus de notre tête de lit d'un meuble beau mais pas pratique qui nous sert de table de chevet mais le soucis est qu'il faut se redresser et tourner la tête pour voir l'heure (Marcel Proust aurait détesté). C'est donc ce que j'ai fait et quand j'ai vu l'heure, j'ai été soulagé et j'ai tout de suite compris que le maudit livreur avait un peu d'avance. N'empêche que mon cœur a battu très fort pendant une demie heure. Le livreur parti, je n'ai pas pu me rendormir et je me suis donc replongé dans la recherche pendant une heure et c'est pendant cette phase de lecture que j'ai atteint les six pour cent. 

    Cette partie se termine par les promenades du narrateur du côté de Guermantes qui en général sont de longues promenades car s'il était assez simple d'aller du côté de Méséglise, c'était une autre affaire d'aller du côté de Guermantes, car la promenade était longue et l'on voulait être sûr du temps qu'il ferait. On apprend aussi dans la partie 'Combray' qu'il y avait autour de Combray deux côtés pour les promenades; et si opposés qu'on ne sortait pas en effet de chez nous par la même porte, quand on voulait aller d'un côté ou de l'autre : le côté de Méséglise-la-Vineuse, qu'on appelait aussi le côté de chez Swann et le côté de Guermantes

    De cette partie que j'ai achevé ce matin, alors que dehors tombait une pluie battante  (plaisir d'être au lit le samedi matin et d'entendre la pluie), je retiens ce passage où le narrateur évoque les nénufars (orthographiés ainsi) de la Vivonne (cours d'eau qui traverse Combray et qui dans la réalité correspondrait au Loir) :

    Bientôt le cours de la Vivonne s'obstrue de plantes d'eau. Il y en a d'abord d'isolées comme tel nénufar à qui le courant au travers duquel il était placé d'une façon malheureuse laissait si peu de repos que, comme un bac actionné mécaniquement, il n'abordait une rive que pour retourner à celle d'où il était venu, refaisant éternellement la double traversée. Poussé vers la rive, son pédoncule se dépliait, s'allongeait, filait, atteignait l'extrême limite de sa tension jusqu'au bord où le courant le reprenait, le vert cordage se repliait sur lui−même et ramenait la pauvre plante à ce qu'on peut d'autant mieux appeler son point de départ qu'elle n'y restait pas une seconde sans en repartir par une répétition de la même manœuvre  Je la retrouvais de promenade en promenade, toujours dans la même situation, faisant penser à certains neurasthéniques au nombre desquels mon grand−père comptait ma tante Léonie, qui nous offrent sans changement au cours des années le spectacle des habitudes bizarres qu'ils se croient chaque fois à la veille de secouer et qu'ils gardent toujours ; pris dans l'engrenage de leurs malaises et de leurs manies, les efforts dans lesquels ils se débattent inutilement pour en sortir ne font qu'assurer le fonctionnement et faire jouer le déclic de leur diététique étrange, inéluctable et funeste. Tel était ce nénufar, pareil aussi à quelqu'un de ces malheureux dont le tourment singulier, qui se répète indéfiniment durant l'éternité, excitait la curiosité de Dante, et dont il se serait fait raconter plus longuement les particularités et la cause par le supplicié lui−même, si Virgile, s'éloignant à grands pas, ne l'avait forcé à le rattraper au plus vite, comme moi mes parents.

    Chers amis lecteurs (chaque jour plus nombreux depuis qu'il est question de Proust-), nous ne verrons plus les nénufars de la même façon. 

    llt 

     

  • un automne avec Proust

    La Recherche. 20 ans déjà ! 20 ans que j’ai lu le pavé de Proust et hasard du calendrier, voici que je m’y suis remis sur ma kindle (si j’avais imaginé en 1993 lire sur tel support alors qu’à l’époque je n’avais jamais touché un ordinateur). A court d’idée de lecture, j’ai donc débuté l’air de rien, sans trop y croire, sans me mettre la pression avec dans l’idée de tout arrêter dès la première lassitude. J’ai commencé avant de lire Canada de Richard Ford (compte rendu indigne d’ailleurs) et puis j’ai repris après. J’en suis à 5% et selon mes calculs, 1% égalant 60 pages, cela fait 300 pages (sur 3000 que compte l'oeuvre). Que voilà des précisions mathématiques bien dérisoires à côté du plaisir purement littéraire que je prends à lire Proust, un plaisir agrémenté de fous rires, car Proust me fait beaucoup rire. Ce qui est compliqué dans La Recherche ce n’est pas l’histoire, car cette dernière est très simple, (si tant est qu’il y en ait une), ce qui est compliqué c’est la longueur des phrases dont il m’est difficile parfois d’en défaire l'écheveau. Quand j’en ai vraiment envie, je la relis plusieurs fois mais avant tout si elle me procure un plaisir d’ordre esthétique ou bien si elle me donne l'impression de contenir une impression ou une idée communément partagée et quand j’en n'ai pas envie et bien je passe mon chemin, ce n’est pas trop grave, la Recherche, c’est un peu comme les feux de l’amour, on peut rater plusieurs épisodes sans être perdu.

    Je crois que 'à la recherche du temps perdu' (il faut appeler un chat un chat) est le roman qui s'accommode le plus à la lecture sur liseuse électronique. Je me souviens lors de ma première lecture, il y a vingt ans (faite essentiellement sur les poches avec la cathédrale de Rouen en couverture), je soulignais et annotais les sublimes passages et mettais beaucoup de temps ensuite à les retrouver. Avec la kindle, tout cela est simplifié évidemment et puis il existe aussi cette fonction recherche qui permet de retrouver en deux clics toutes les occurrences d’un mot( procédé largement utilisé par François Bon dans son essai Proust est une fiction (que je suis en train de lire sporadiquement)).

    Je ne sais pas combien de temps ça va mettre (peu importe) ni même si j’irai jusqu’au bout et je ne sais pas non plus comment je vais en faire profiter les trois lecteurs de ce blog, tout est possible.  Et comme disent les gens qui n’ont rien à dire, on verra (genre Deschamps qui, quand on lui demande quelle équipe il préfère que la France affronte en barrage répond prioritairement ‘on verra’, ça mange pas de pain et c’est sûr, on verra !).

    Pourquoi ‘Legrandin & cie’ ? Parce que Legrandin est le personnage qui me fait le plus rire. C’est un personnage secondaire certes, qui n'apparaît je crois que dans ‘du côté de chez Swann’ mais dont la personnalité et les grimaces sont disséquées par le narrateur avec une minutie et un humour inégalé.

    En guise d’apéritif, il sera donc question de Legrandin (emplacement 2652 sur 57226, page 129 du tome 1 collection la pléiade). Le narrateur et son père croisent ledit Legrandin au bord de la Vivonne (rivière qui traverse Combray, bourg normand où se situe l’action, il faut tout vous dire) Le père du narrateur (dont on ne saura jamais le nom) n’est pas sans savoir que la sœur de Legrandin, une certaine Mme de Cambremer habite à Balbec, station balnéaire normande où doivent justement se rendre pour deux mois sa femme et le narrateur et il a la désir de se faire rencontrer tout ce petit monde, ce qui pour une raison mystérieuse ne semble pas être du goût de ce snob de son interlocuteur :

    — Ah ! est-ce que vous connaissez quelqu’un à Balbec ? dit mon père. Justement ce petit-là doit y aller passer deux mois avec sa grand’mère et peut-être avec ma femme.

    Legrandin pris au dépourvu par cette question à un moment où ses yeux étaient fixés sur mon père, ne put les détourner, mais les attachant de seconde en seconde avec plus d’intensité — et tout en souriant tristement — sur les yeux de son interlocuteur, avec un air d’amitié et de franchise et de ne pas craindre de le regarder en face, il sembla lui avoir traversé la figure comme si elle fût devenue transparente, et voir en ce moment bien au delà derrière elle un nuage vivement coloré qui lui créait un alibi mental et qui lui permettrait d’établir qu’au moment où on lui avait demandé s’il connaissait quelqu’un à Balbec, il pensait à autre chose et n’avait pas entendu la question. Habituellement de tels regards font dire à l’interlocuteur : « À quoi pensez-vous donc ? » Mais mon père curieux, irrité et cruel, reprit :

    — Est-ce que vous avez des amis de ce côté-là, que vous connaissez si bien Balbec ?

    Dans un dernier effort désespéré, le regard souriant de Legrandin atteignit son maximum de tendresse, de vague, de sincérité et de distraction, mais, pensant sans doute qu’il n’y avait plus qu’à répondre, il nous dit :

    — J’ai des amis partout où il y a des groupes d’arbres blessés, mais non vaincus, qui se sont rapprochés pour implorer ensemble avec une obstination pathétique un ciel inclément qui n’a pas pitié d’eux.

    — Ce n’est pas cela que je voulais dire, interrompit mon père, aussi obstiné que les arbres et aussi impitoyable que le ciel. Je demandais pour le cas où il arriverait n’importe quoi à ma belle-mère et où elle aurait besoin de ne pas se sentir là-bas en pays perdu, si vous y connaissez du monde ?

    — Là comme partout, je connais tout le monde et je ne connais personne, répondit Legrandin qui ne se rendait pas si vite ; beaucoup les choses et fort peu les personnes. Mais les choses elles-mêmes y semblent des personnes, des personnes rares, d’une essence délicate et que la vie aurait déçues. Parfois c’est un castel que vous rencontrez sur la falaise, au bord du chemin où il s’est arrêté pour confronter son chagrin au soir encore rose où monte la lune d’or et dont les barques qui rentrent en striant l’eau diaprée hissent à leurs mâts la flamme et portent les couleurs ; parfois c’est une simple maison solitaire, plutôt laide, l’air timide mais romanesque, qui cache à tous les yeux quelque secret impérissable de bonheur et de désenchantement. Ce pays sans vérité, ajouta-t-il avec une délicatesse machiavélique, ce pays de pure fiction est d’une mauvaise lecture pour un enfant, et ce n’est certes pas lui que je choisirais et recommanderais pour mon petit ami déjà si enclin à la tristesse, pour son cœur prédisposé. Les climats de confidence amoureuse et de regret inutile peuvent convenir au vieux désabusé que je suis, ils sont toujours malsains pour un tempérament qui n’est pas formé. Croyez-moi, reprit-il avec insistance, les eaux de cette baie, déjà à moitié bretonne, peuvent exercer une action sédative, d’ailleurs discutable, sur un cœur qui n’est plus intact comme le mien, sur un cœur dont la lésion n’est plus compensée. Elles sont contre-indiquées à votre âge, petit garçon. « Bonne nuit, voisin », ajouta-t-il en nous quittant avec cette brusquerie évasive dont il avait l’habitude et, se retournant vers nous avec un doigt levé de docteur, il résuma sa consultation : « Pas de Balbec avant cinquante ans, et encore cela dépend de l’état du cœur », nous cria-t-il.

    Mon père lui en reparla dans nos rencontres ultérieures, le tortura de questions, ce fut peine inutile : comme cet escroc érudit qui employait à fabriquer de faux palimpsestes un labeur et une science dont la centième partie eût suffi à lui assurer une situation plus lucrative, mais honorable, M. Legrandin, si nous avions insisté encore, aurait fini par édifier toute une éthique de paysage et une géographie céleste de la basse Normandie, plutôt que de nous avouer qu’à deux kilomètres de Balbec habitait sa propre sœur, et d’être obligé à nous offrir une lettre d’introduction qui n’eût pas été pour lui un tel sujet d’effroi s’il avait été absolument certain — comme il aurait dû l’être en effet avec l’expérience qu’il avait du caractère de ma grand’mère — que nous n’en aurions pas profité.

    Avec Proust, plus c’est long, plus c’est bon. Ce passage me fait mourir de rire. Legrandin utilisant des trésors d’ingéniosité pas crédibles  pour cacher au père du narrateur qu’il a une sœur à Balbec est pathétique. Sinon, pour l’anecdote, on notera dans cette partie la seconde occurrence bretonne dans La Recherche, pas forcément à sa gloire puisque la baie de Balbec ne serait pas bonne pour les enfants car ‘déjà à moitié bretonne’.

    llt (et mp). 17.10.2013


     

  • du côté de chez Proust (2)

    Il y avait un excellent dossier Marcel Proust dans le supplément littérature du Monde de février 2007...mais plus que le dossier, c'est cet extrait qui m'a botté, un passage tellement beau que je m'étonne d'être passé à côté : 

     De ce poste élevé elle participait avec entrain à la conversation des fidèles et s’égayait de leurs " fumisteries ", mais depuis l’accident qui était arrivé à sa mâchoire, elle avait renoncé à prendre la peine de pouffer effectivement et se livrait à la place à une mimique conventionnelle qui signifiait, sans fatigue ni risques pour elle, qu’elle riait aux larmes.

    Au moindre mot que lâchait un habitué contre un ennuyeux ou contre un ancien habitué rejeté au camp des ennuyeux – et pour le plus grand désespoir de M. Verdurin qui avait eu longtemps la prétention d’être aussi aimable que sa femme, mais qui, riant pour de bon, s’essoufflait vite et avait été distancé et vaincu par cette ruse d’une incessante et fictive hilarité -, elle poussait un petit cri, fermait entièrement ses yeux d’oiseau qu’une taie commençait à voiler, et brusquement, comme si elle n’eût eu que le temps de cacher un spectacle indécent ou de parer à un accès mortel, plongeant sa figure dans ses mains qui la recouvraient et n’en laissaient plus rien voir, elle avait l’air de s’efforcer de réprimer, d’anéantir un rire qui, si elle s’y fût abandonnée, l’eût conduite à l’évanouissement. Telle, étourdie par la gaîté des fidèles, ivre de camaraderie, de médisance et d’assentiment, Mme Verdurin, juchée sur son perchoir pareille à un oiseau dont on eût trempé le colifichet dans du vin chaud, sanglotait d’amabilité.

  • du côté de chez Proust # 1

     

    Depuis quelques jours, j'ai ressorti mes Proust, pas ceux de la Pléiade parce que ces derniers sont faits pour rester en bibliothèque mais les poches, déjà tous usés, écornés, marqués, fluorés. J'avais lu La Recherche pendant mon service militaire (non non pas par snobisme hein) et je me souviens que mes compagnons d'armes se moquaient. Je me souviens notamment d'un 31 décembre au soir où j'étais d'astreinte au régiment. Pendant que mes collègues jouaient aux cartes, je lisais. L'un d'eux, passablement émêché est venu vers moi, a piqué le bouquin que je le lisais et alors, avec ses amis, ils se le sont passés comme un ballon de basket. Ça semble anodin comme ça mais ça m'a marqué.

    Après un début de lecture difficile (cent premières pages de du côté de chez Swann), je me suis par la suite régalé, profitant pleinement de chaque phrase. Mon idée sur cette oeuvre majeure est qu'on s'en fout de cette histoire d'aristocrates dans le Paris (essentiellement) au début du XX. On s'en fout car ce qui compte, à mon sens, c'est la façon dont le narrateur analyse les comportements, le pourquoi du comment d'un geste ou d'un regard, la façon dont on peut se rendre ridicule et surtout la façon dont on envisage le temps qui s'écoule. Oui, on s'en fout de la trame qui se situe essentiellement dans les salons mondains et stations balnéaires huppées.

    Chacun de nous a ses petites manies intérieures, ses petites réflexions personnelles qu'on se fait sur une chose en particulier ou la vie en général et nous trouvons ces petites choses si bizarres que nous ne pensons pas un instant qu'une personne puisse se figurer intérieurement les mêmes bizarreries. Et bien, je me suis rendu compte avec Proust que nombre de mes petites philosophies à 2 balles pouvaient être très communes, la cerise sur la gateau étant bien sûr que Proust savait lui formuler à merveille ces non-dits intérieurs.

    Pendant ces fêtes, je me trimballe avec « le côté de Guermantes », troisième volume de La Recherche. Pour étayer mes propos, je ne peux m'empêcher de vous faire partager cette réflexion qui depuis tout petit me travaillait les méninges :

    Il en est du sommeil comme de la perception du monde extérieur. Il suffit d'une modification dans nos habitudes pour le rendre poétique, il suffit qu'en nous déshabillant nous nous soyons endormi sans le vouloir sur notre lit, pour que les dimensions du sommeil soient changées et sa beauté sentie. On s'éveille, on voit quatre heures à sa montre, ce n'est que quatre heures du matin, mais nous croyons que toute la journée s'est écoulée, tant ce sommeil de quelques minutes et que nous n'avions pas cherché nous a paru descendu du ciel, en vertu de quelque droit divin, énorme et plein comme le globe d'or d'un empereur.

    Exquis non ? Qui ne s'est pas endormi inopinément qui n'ait trouvé au réveil ce sommeil fortuit réparateur et magique ?Vous aimez Proust ? Ça tombe bien, moi aussi et j'ai décidé pour les jours (et les mois ?) à venir vous faire partager ces passages sybillins.