Gambetti (qui n'est pas mort - et donc pas enterré à Triqueville, pas plus que la mémé de Philippe Torreton -) qui existe en vrai et qui est quelqu'un qui m'est très proche tout en étant physiquement éloigné) et Apolline ( qui m'est encore plus proche dont en étant également physiquement éloignée) sont des fin lettrés donc je me permets de leur dire que pseudo ou pas, j'aimerais qu'ils mettent une majuscule à la première lettre de leur pseudo, parce qu'étant maniaque sur la question, je m'emmerde à corriger cette erreur non fondamentale.
Mais ceci est peu de de chose avec l'objet de cette note qui a pour but avant tout de revenir sur le texte que Gambetti a posté hier en commentaire. Je le retranscris ici.
Bonjour Loïc,
Pourquoi un texte personnel, égocentré comme "La promesse de l'aube" a-t-il connu un succès mondial ? Et "Vipère au poing?" Et..... Je pense que dans son enfance se trouve un monde. Que l'on veut fouiller ou pas. Que l'on exprime ou pas. Voilà deux textes: sur le père, sur la mère. A toi de dire si l'intérêt dépasse le personnel.
Gambetti
Lorsque je passe sur le quai logistique, après quelques cafés, alors que les palettes de poissons surgelés passent, se chargent et se déchargent ; quand les contrôles s'enchaînent avec logique, quand les gestes trouvent naturellement leurs places, comme les pièces idoines d'un puzzle, une sorte d'emphase, un lyrisme me prend. Alors, c'est bien moi qui siffle « Summertime », mais c'est une réminiscence de mon père qui s'accompagnait ainsi au piano, sur la mezzanine du salon. Etait-ce alors l'été de sa vie ? Ou alors comme tout, c'était plus compliqué ; comme cet air triste finalement, avec des paroles optimistes.
Des temps meilleurs sont arrivés, et je les siffle à ta manière, en ton honneur. Dans les entrepôts frigorifiques, hantés de fantômes capitonnés, j'entretiens ce dernier lien sonore, cet air simple, infiniment modulé de variations.
Et je les siffle en orchestrant mes journées frénétiques. Comme toi qui avais besoin de construire. Tout le temps. Soir et week-end. Toi qui transformas en vingt cinq ans une bergerie en mas provençal avec dépendances. Toi qui entretenais un hectare de terrain. Toi qui me traitais de cossard, me disais que j'aurais pu faire polytechnique. J'ai finalement, vingt ans après, pris le même chemin productiviste que toi. Pour quoi ? Pour qui ? A qui ai-je à prouver ma valeur, sinon toi ? Et toi, à ton époque, était-ce la même impérieuse et muette obligation d'être à la hauteur des attentes du père? Et ces attentes étaient-elles atteignables ?
Le père semble être celui qui a le pas suffisamment sûr. Celui qui a assez voyagé dans ses émotions pour supporter le tremblement des générations.
Notre propriété de Roquevaire se termine par un mur de pierres sèches, une restanque, comme on l'appelle couramment en provençal. Si l'on suit la déclivité du terrain, l'ouvrage prend de la hauteur, mais, soudain, il bute sur un banc de calcaire qui transperce terre et végétation et occupe tout le fond du vallon. Cette roche est fendue à sa base, et, de cette fente suinte un mince mais continu filet d'eau pure, transparente. Une eau qui étincelle parmi les herbes brûlées alentour et qui alimente un gourd, une vasque naturelle, immobile, ceinte de calcaire gris. Ce qui choque, c'est que la végétation avoisinante n'a pas connaissance de cette exception. Autour, tout est sec.
Lorsqu'on plonge ses yeux dans cette épaisseur de pur, s'agite une multitude de gammares. Parfois, si l'on soulève une pierre, une sangsue se contorsionne, signe de ponctuation dérangé dans son repaire. Mais, ce qui finit par attirer l'attention, dans ces quelques vingt mètres carrés, dans ce lac miniature, ce sont ces traînées de fine poussière beige, qui, si on les suit du regard, nous amènent à détecter de petits fuseaux posés sur leurs nageoires. Des poissons ! De petits chevaines qui m'observent du plus loin que le cirque d'eau le permet. Ils sont la preuve que la vie existe, ici, en continu ! Et si l'on regarde attentivement plus bas, il y a bien ce même ru qui repart entre les pierres et dévale vers le village loin, en contrebas.
Ce rêve est récurrent ces derniers temps. Pourtant, il n'y a jamais eu de source chez nous. Tout juste un flot de boue qui, lors des pluies méditerranéennes d'automne, emprunte le chemin de moindre pente trois ou quatre jours par an.
Une nouvelle vérité sur ma mère se trouve dans cette vision onirique, je le sais. C'est comme si ce climat de relations arides, théâtre de brèves et violentes explications pluvieuses, avait jusque là interdit de remarquer une constance, une présence. Muette et pure.
Je reviens déjà sur le préambule. Gambetti écrit " Je pense que dans son enfance se trouve un monde". J'ai rajouté le "dans" car je pense qu'il l'avait oublié, sinon la phrase n'a pas de sens. Alors, oui, non seulement notre enfance est un monde à part entière et ce monde n'est pas fermé puisqu'il conditionne ensuite toute notre existence. Je suis intimement convaincu de cela (c'est Freudien donc banal, je sais) et excusez-moi d'y revenir sans cesse mais c'est justement devant le constat que bien que l'enfant se construit beaucoup lui-même et sait "encaisser des coups" plus qu'on ne pense, le cadre et la stabilité familiale, l'attention que les parents lui portent, l'écoute, les confidences etc sont essentiels. Pour avoir vécu une enfance pour le moins perturbée, j'essaie avec ma femme d'apporter à nos filles ce que n'ai pas eu la chance d'avoir ; de l'affection et le bagage pour rentrer dans le monde adulte.
Ensuite, "le poème en prose". Je ne te le dis pas pour te faire plaisir, je n'ai pas envie de te cirer les pompes mais je le trouve sublime, extrêmement bien construit. Subrepticement, tu arrives à transporter le lecteur d'un entrepôt frigorifique à ta maison familiale au milieu de la garrigue dans le sud de la France et le lien se fait grâce à cet air qui te revient, comme une madeleine de Proust et qui te rappelle ton père le jouant du piano dans sa villa, ce père " bâtisseur" qui a cru en toi mais qui te traitait de "cossard". On se retrouve plongé dans une villa du sud, bien loin du quotidien et des odeurs de l'entrepôt. On devine que la description de cette maison de ton enfance, de son jardin sec, où la végétation règne tout en subissant la sécheresse est une métaphore. Tu fais aujourd'hui des rêves d'eaux, de lac, de poissons ( lien avec l'usine où tu travailles). Cette eau justement n'est-elle pas une image du liquide amniotique dans lequel tu as baigné ? L'image de la mère arrive ensuite naturellement, sa présence mais en même temps son mutisme et sa pureté. A la lecture de ce texte, elle me reste mystérieuse.
C'est un poème imagé, très fort, cruel aussi, sur la complexité de la relation parents-enfant et lorsqu'on réalise ce qui a nous a manqué dans les premières années de nos existences. Je ne sais pas si je suis dans le vrai mais même si nos parcours n'ont rien à voir, je me retrouve un peu dans ce texte (que j'aurais été incapable d'écrire). Et j'ajoute même si c'est hors-sujet que je suis toujours persuadé que l'on devient vraiment un homme que lorsque le père est mort, malgré toute l'affection qu'on peut lui porter, malgré le désarroi quand on apprend son décès. Le vide. Tant que son père est en vie, le fils (et la fille aussi mais là, je suis moins certain) même inconsciemment ne vit que pour prouver à son père ce qu'il est capable de faire. Il ne vit que sous le regard (même absent) du père. Bon, désolé, si c'est de la psychanalyse de comptoir mais c'est tout ce que je peux écrire ce soir. En tout cas, chapeau bas pour le texte.
Loïc LT