Dans la série "tentative de compréhension d'un poème contemporain", j'ai envie de continuer avec Philippe Jaccottet car je sais que vous êtes devenus amoureux de sa poésie depuis la dernière note qui lui fut consacrée.
Les eaux et les forêts, partie 1
La clarté de ces bois en mars est irréelle, tout est encor si frais qu'à peine insiste-t-elle.
Les oiseaux ne sont pas nombreux; tout juste si, très loin, où l'aubépine éclaire les taillis, le coucou chante.
On voit scintiller des fumées qui emportent ce qu'on brûla d'une journée, la feuille morte sert les vivantes couronnes, et suivant la leçon des plus mauvais chemins, sous les ronces, on rejoint le nid de l'anémone, claire et commune comme l'étoile du matin.
C'est un poème d'actualité, on est en mars ! C'est fou mais je n'ai pas vu passer l'hiver. J'ai l'impression qu'une seule nuit a séparé octobre et mars. C'est la première fois que j'ai ce sentiment. Je ne l'explique pas. Heureusement que je n'ai pas attendu l'hiver pour lui dire que je l'aimais car j'ai fait l'impasse sur la saison crépusculaire..
Non, mais sérieux Philippe, tu t'affirmes comme un poète contemporain et tu écris encore encore sans E. Depuis Mallarmé, c'est ringard de ne pas mettre de E à encore !
Oui, en mars, le soleil est encore trop faiblard et il fait encor(e) frais pour que la lumière éblouie. Inutile donc qu'elle insiste et le soleil a tout a fait le droit d'économiser de l'hydrogène. Je ne connais pas l'aubépine, je veux bien croire que comme le crocus ou la narcisse, elle fleurisse en mars par contre, une chose est certaine : le coucou ne chante pas en mars, en tout cas pas en Bretagne. On peut l'entendre au plus tôt mi-avril, je dirais...mais en mars, Philippe, non !
On voit scintiller des fumées qui emportent ce qu'on brûla d'une journée
C'est tellement simple à comprendre qu'on se demande si c'est vraiment du Jaccottet ou alors, il était vraiment fatigué le jour où il a écrit ça parce qu'avec les coucous, ça fait beaucoup ! Ensuite, et bien, je cherche encore que sont les vivantes couronnes qui servent aux feuilles mortes. Une feuille morte est très fragile et encore plus au mois de mars où elle est dans un état de décomposition avancé, alors en quoi peut-elle servir à quelque chose ? Les feuilles mortes sont au ras du sol, elles n'ont plus la force de s'envoler à part peut-être lorsque des tourbillons, annonçant souvent l'orage les dérangent. Mais ça nous avance pas sur les vivantes couronnes. Elles doivent signifier quelque chose dans l'esprit du poète. Il vit encore mais il est très vieux, on peut toujours lui demander.
Peut-être l'indication comme quoi il emprunte des mauvais chemins où poussent des ronces qui cachent des anémones peut-elle nous aider mais pas vraiment. Bon, les ronces gardent l'essentiel de leurs feuillages en hiver, on est d'accord. L'autre jour, j'ai taillé ma haie de thuyas et j'en ai enlevé plein et les méchantes m'ont griffé et je me souviens qu'elles avaient encore des feuilles. Les anémones qui sont avant tout des plantes couvre-sol (et qui peuvent donc se laisser envahir par les ronces) survivent à l'hiver et commencent souvent à fleurir en mars. Mais qui est donc ce "on" qui rejoint le nid de l'anémone...un promeneur botaniste qui en a vu d'autres et qui trouve ça normal de trouver des anémones au bord des chemins perdus ? L'étoile du matin ne peut-être que le soleil et donc, le poète ferme la boucle ouverte avec la faible clarté que cette étoile diffuse.
Je n'ai fait qu'un commentaire linéaire mais quel est le sens de tout ça ? Faut-il lire la suite du poème pour en trouver l'explication ou bien, doit-on se contenter d'un poème bucolique qui n'a d'autre but que de décrire un sous-bois au début du printemps ? Est-ce une réponse à Rimbaud qui embrassa l'aube d'été ? Trop bling bling, l'aube d'été, un poète contemporain va préférer l'aube d'une nouveau printemps.
Cette question ne devrait pas m'empêcher de dormir, ni Gérard Larcher, ni vous. Mais quand même...les vivantes couronnes. Là est la clé du poème.
Chers amis de la poésie, bonsoir !
Loïc LT
Commentaires
Bonjour
"La clarté de ces bois en mars est irréelle
tout est encor si frais qu'à peine insiste-t-elle."
Ce sont en fait deux alexandrins parfaits, simplement juxtaposés. Le maintien du -e aurait produit 13 syllabes. D'ailleurs dans la lecture courante personne ne prononce le e muet. Dites-vous encoreu ? Avez-vous noté que dans ces deux alexandrins l'auteur a soigneusement évité les e muets, sauf à la rime, féminine ici -esse. C'est un choix.
Quant au reste... Mon Dieu, pourvu que la poésie ne s'embarrasse jamais d'être réaliste.
Du reste Jacottet prévient le lecteur dès le début : irréelle.
"la feuille morte sert les vivantes couronnes". Une tentative de lecture : Les feuilles tombées rendent les couronnes visibles, leur rendent vie, les font vivantes. Est-ce que cette lecture, en mode actif, vous éclaire ?
Et enfin, si je peux me permettre, je vous cite : pour que la lumière éblouie... j'aurais vu plutôt éblouisse, puisque l'on est dans l'hypothétique qui appelle le subjonctif.
Jacottet est tout de même assez classique. Si vous cherchiez mieux, vous trouveriez nettement plus contemporain.
Bien à vous.
JB Cilio