Souvent dans les marchés de noël ou autres marchés locaux, parmi les artisans et camelots du coin, il arrive que je croise un écrivain ou poète vers lequel personne ne s'arrête. Assis sur sa chaise derrière les quelques bouquins qu'il a emmenés (pas besoin d'envoyer une palette), il attend patiemment qu'une âme charitable s'arrête pour parcourir le livre et pourquoi pas engager la discussion. Personnellement, je le fais systématiquement. Si j'étais un peu prétentieux, je dirais que c'est par fraternité poètique puisqu'à une période de ma vie, j'ai un peu taquiné la muse..bon, ça n'a rien donné ou pas grand chose mais toujours est-il que j'ai eu ce désir, ce besoin d'écrire en rimes. J'ai donc beaucoup de sympathie pour ceux qui y sont parvenus, pour qui c'est presque une chose naturelle...ô, ils n'en font pas leur métier, ce sont des poètes amateurs qui parfoisarrivent à se faire publier dans des maisons d'édition locales et qui n'ont d'autres moyens pour écouler leur stock (qui ne doit pas être monstrueux) que de tenir un stand dans ces marchés où le commun des mortels vient avant tout pour s'acheter du sauciflard ou du chouchen du cru.
Je me dirige vers le stand donc. Souvent, il s'agit de romans du terroir, ce qui n'est pas ma tasse de thé. J'engage la discussion quand même car même si le texte ne m'intéresse pas, j'aime bien savoir comment travaillent les écrivains, s'ils font un plan ou s'ils écrivent à vue, quel est le rythme d'écriture etc etc. Lorsqu'il s'agit d'un poète, je suis un peu plus curieux mais souvent ils sont un peu plus taiseux. L'autre jour au marché de noël de Camors, je me suis porté acquéreur d'un petit recueil, sans avoir pu hélas discuter avec son auteur, absent au moment de mon passage. Mais, le recueil m'a déçu. Je sentais trop le dictionnaire de rimes à portée de main et cela faisait un peu forcé et bon ce n'était pas une poésie que j'aimais, (c'est à dire un peu verlainienne, avec un rythme et une musique, j'aime que le poème se lise d'un souffle comme le courant d'une onde pure).
Prisca, sachant mon grand amour de l'Art (pour reprendre Rimbaud) a eu plus de chance que moi lors d'un autre marché où elle était allée sans moi. C'était à Languidic, ma ville natale et elle s'est arrêtée à un stand où un poète dédicaçait un de ses recueils. Il s'appelle Camille Jaouen et le recueil s'intitule mi-figue mi-raisin. Il est édité chez Chemin Faisant, un petit collectif d'auteurs basé à Ploemeur. Elle l'acheta.
J'ai trouvé le recueil au pied du sapin et il ne m'a pas quitté toute la journée de noël. C'est un recueil plutôt sombre écrit dans un style assez classique et où il est beaucoup question de solitude, d'alcool, de dépression, de la mort... j'ai l'impression de me voir tel que je serais devenu si j'étais resté seul. Donc, voilà, je suis sensible à sa poésie. Elle me touche et c'est bien supérieur à ce que j'ai pu commettre (c'est pas dur en même temps). J'espère que l'auteur ne m'en voudra pas de diffuser ici un poème de ce recueil (poème de circonstance puisqu'il y est question des séances de dédicaces (j'ai hésité avec le bistrot):
dédicaces
Dans les salons du livre, on vient vendre son 'œuvre'
et l'on en sort souvent Gros-Jean comme devant
mais l'on est obligé d'avaler des couleuvres
pour être un peu connu, pour aller de l'avant.
Alors, on va passer des heures à attendre
que quelqu'un daigne au moins feuilleter votre livre,
ce livre qui, pour vous, est comme un être tendre,
un enfant qui vous doit d'être né et de vivre.
Mais ce quelqu'un, qui va repartir sans vos vers,
ignore que ces mots qui l'ont laissé de glace,
vous les avez bercés du printemps à l'hiver,
longuement cajolés pour qu'ils soient bien en place.
La poésie, toujours, c'est une part de soi
que l'on offre à bas prix à qui veut bien la lire
et qui, s'il est un peu troublé par vos émois,
entendra, grâce à vous, le chant des oiseaux-lyres.
Quant au poète, ici, il se sent mal à l'aise,
exhibé comme au zoo devant ces messieurs-dames
...il étouffe et attend que cesse ce malaise:
dans les salons du livre on vend un peu son âme !
Camille Jaouen.
(on peut acheter son dernier recueil (les olifants de la mémoire, lauréat du prix Bordulot 2012) en allant par ici).