Ce n'est pas utile de faire des manières pour dire des choses simples : les croix de bois évoquent, à travers les souvenirs du narrateur, Jacques (le double de l'auteur), le quotidien dans les tranchées lors de la guerre 14-18. Le récit se compose de 17 chapitres indépendants qui sont chacun comme des tableaux représentant divers moments de la vie des soldats : l'arrière-front, le combat proprement dit, les relèves, l'attente dans les bourgs parmi les villageois. On fait la connaissance de Sulphart, de Gilbert, de Bouffioux (le ch'ti) et autres soldats aux caractères divers évidemment. Jacques, le narrateur, on se demande s'il n'est pas transparent tant il est peu mis à contribution, on ne lui adresse quasiment pas la parole, on dirait qu'il n'est là que pour écrire le livre.
J'ai été bouleversé par ce livre (que j'ai lu non par envie mais parce qu'il m'intéressait de connaître quel roman faillit battre Proust lors du Goncourt 1919 ), par l'humanité et la fraternité unissant ces soldats quotidiennement confrontés au combat et à la possibilité de la mort, si ce n'est sa quasi-certitude, des types venant d'univers différents et qui se retrouvent soudainement soudés face à l'adversité. C'est peut-être banal que de dire tout cela, c'est rabâché sans fin depuis 100 ans mais personnellement, je n'arrive pas à me figurer que né un siècle plus tôt, j'aurais pu être à leur place. Comment aurais-je vécu de pareils moments ? L'homme arrive-t-il donc à s'habituer au pire ? C'est un peu ce qui ressort de ce roman dont on se souvient des moments de fraternité, de franches rigolades, des taquineries, des dialogues.
Vous verrez...Des années passeront. Puis nous nous retrouverons un jour, nous parlerons des copains, des tranchées, des attaques, de nos misères et de nos rigolades, et nous dirons en riant 'c'était le bon temps'
Et puis, au cœur même du combat, on arrive à rire...ainsi dans cette scène où le soldat Lemoine n'a qu'une idée en tête : entasser des soldats morts devant lui et ses copains pour se protéger :
A quelque pas de l'entonnoir, un officier était couché sur le côté, sa capote ouverte, et, dans ses doigts osseux, il tenait son paquet de pansement, qu'il n'avait pas pu dérouler.
- on devrait essayer de le traîner jusqu'ici, dit Lemoine, ça ferait un de plus pour le parapet. Et avec le Boche qui est là, plus loin...
- T'es pas louf ? grogne Hamel . Tu veux nous faire repérer en les empilant tous devant.
- Ceux des autres trous s'en sont bien fait, des parapets.
En effet, de loin en loin, tout le long de la crête, des hommes se dissimulaient, qu'on pouvait prendre pour des grappes de morts. Allongés derrière la moindre butte, blottis dans les plus petits trous, ils travaillaient presque sans bouger, grattant la terre, avec leur pelle-bêche, et, patiemment, ils élevaient devant eux de petits monticules, des taupinières qu'un souffle eut emportées.
Et dans ce quotidien où la mort est omniprésente, vivre devient un luxe :
Un petit, dans un coin, racle sa langue blanche avec un couteau. Un autre ne vit plus que par l'imperceptible halètement de sa poitrine, les yeux fermés, les dents serrés, toute sa forme ramassée pour se défendre contre la mort, sauver son peu de vie qui tremblote et va fuir.
Il espère, pourtant, ils espèrent tous, même le moribond. Tous veulent vivre, et le petit répète obstinément :
- Ce soir, les brancardiers vont sûrement venir, ils nous l'ont promis hier...
La vie, mais cela se défend jusqu'au dernier frisson, jusqu'au dernier râle. Mais s'ils n'espéraient pas les brancardiers, si le lit d'hôpital ne luisait pas comme un bonheur dans leur rêve de fièvre, ils sortiraient de leur tombe, malgré leurs membres cassés ou leur ventre béant, ils se traîneraient dans les pierres avec leurs griffes, avec leurs dents. Il en faut de la force pour tuer un homme ; il en faut de la souffrance pour abattre un homme...
Cela arrive, pourtant. L'espoir s'envole, la résignation, toute noire, s'abat lourdement sur l'âme. Alors, l'homme résigné ramène sur lui sa couverture, ne dit plus rien, et , comme celui-là qui meurt dans un coin de tombeau, il tourne seulement sa tête fiévreuse, et lèche la pierre qui pleure.
lecture: janvier 2014, kindle, note : 4.5/5


Plutôt que de faire un compte rendu de cette oeuvre (que j'avais lue il y a 20 ans), j'ai décidé de faire comme si je devais la résumer à mes filles.
présentation de l’éditeur : Sam Tahar semble tout avoir : la puissance et la gloire au barreau de New York, la fortune et la célébrité médiatique, un « beau mariage »… Mais sa réussite repose sur une imposture. Pour se fabriquer une autre identité en Amérique, il a emprunté les origines juives de son meilleur ami Samuel, écrivain raté qui sombre lentement dans une banlieue française sous tension. Vingt ans plus tôt, la sublime Nina était restée par pitié aux côtés du plus faible. Mais si c’était à refaire ? À mi-vie, ces trois comètes se rencontrent à nouveau, et c’est la déflagration… « Avec le mensonge on peut aller très loin, mais on ne peut jamais en revenir » dit un proverbe qu’illustre ce roman d’une puissance et d’une habileté hors du commun, où la petite histoire d’un triangle amoureux percute avec violence la grande Histoire de notre début de siècle.
présentation de l’éditeur : La robe en miel était le point d'orgue de la collection automne-hiver de Marie. A la fin du défilé, l'ultime mannequin surgissait des coulisses vêtue de cette robe d'ambre et de lumière, comme si son corps avait été plongé intégralement dans un pot de miel démesuré avant d'entrer en scène. Nue et en miel, ruisselante, elle s'avançait ainsi sur le podium en se déhanchant au rythme d'une musique cadencée, les talons hauts, souriante, suivie d'un essaim d'abeilles qui lui faisait cortège en bourdonnant en suspension dans l'air, aimanté par le miel, tel un nuage allongé et abstrait d'insectes vrombissants qui accompagnaient sa parade. Nue est le quatrième et dernier volet de l'ensemble romanesque Marie Madeleine Marguerite de Montalte, qui retrace quatre saisons de la vie de Marie, créatrice de haute couture et compagne du narrateur (Faire l'amour, hiver, 2002 ; Fuir, été, 2005 ; La Vérité sur Marie, printemps-été, 2009 ; Nue, automne-hiver, 2013)
Alors que fusent les dernières balles de la guerre 14-18 , Albert et Edouard, deux soldats de la même compagnie sont les témoins des méfaits de leur chef, le lieutenant d’Aulnay-Pradelle. Ce dernier, afin de motiver ses troupes et ainsi se couvrir d’honneur avant l’armistice assassine froidement deux poilus qu’il avait envoyés en éclaireurs. Edouard qui sauve Albert d’un ensevelissement provoqué par le lieutenant se fait démolir la tronche par un obus. Aidé d’Albert qui commet un vol de papiers, Edouard ne souhaitant pas retrouver sa famille bourgeoise se fait passer pour mort et prend l’identité d’un soldat tombé sur le front. Les deux hommes qu’un lien indéfectible unis emménagent dans un petit appartement poisseux de Paris. Edouard est défiguré, n’a plus de mâchoire, se cache derrière des masques et se drogue avec de la morphine qu’André a bien du mal à lui trouver. Artiste dans l’âme, il dessine pendant qu’Albert additionne les petits boulots. Puis, rendu fou par la morphine il décide de monter une escroquerie impensable : dessiner des monuments aux morts, en faire un livret et les vendre aux communes et se barrer avec les acomptes avant que l’on s’aperçoit de la supercherie. Dans un premier temps, Albert, plus raisonnable refuse..mais il finit par accepter. Parallèlement, comme le monde est petit (surtout dans les romans où ça aide quand même), Henri d’Aulnay-Pradelle qui fait des affaires un peu louches dans les cimetières militaires se marie avec la soeur d’Edouard…Albert qui a besoin d’argent pour monter l’escroquerie accepte un poste de comptable que lui propose le père d’Edouard (qui croit son fils mort, je le rappelle pour ceux qui suivraient pas).
Lire un roman américain, c’est revenir à l’essence même de la littérature : une histoire captivante, un plan bien ficelé et une écriture limpide sans effets de style. Telle est la littérature comme la conçoivent les écrivains américains, disais-je à un de mes contacts anglophones sur ‘un célèbre réseau social’ dont la décence m’empêche de dire le nom. Et elle me répondit alors ‘ Mais ce n'est pas vrai. Si tu lis un livre d'histoire de la littérature américaine, tu verras que les plus grands noms ont une approche expérimentale. Cette approche est en plus facilitée par une langue bien plus flexible que le Français. Que cela ne fonctionne pas pour toi, je comprends, mais il ne faut pas dire que cela n'existe pas car c'est tout simplement faux.’
Le voici enfin le roman qui me réconcilie avec la littérature en cette année 2013, jalonnée de beaucoup de déceptions, je dois dire. J’aurais pu lire le sermon sur la route de Rome plus tôt mais les contraintes financières étant ce qu’elles sont, j’ai attendu sa sortie en poche (sur liseuse puisque la nouveauté technique qui date de pas très longtemps je pense, c’est que lorsqu’un roman sort en poche, sa version numérique est moins chère également, même si trop chère encore puisque du même prix que le livre-papier, voire plus, je ne sais plus).
C'est le retour de la littérature !
Ce fut une lecture douce et tranquille comme cette rivière qu’est la Marne qui s’écoule indolente du plateau de Langres pour finir par se faire happer par la Seine (l’usurpatrice) près de Paris. L’auteur de ce récit, Jean-Paul Kauffmann (dont le nom nous dit tous quelque chose) décide de remonter cette rivière (la plus longue de France) à pied depuis sa confluence jusque sa source avec comme seule contrainte de ne pas s’en éloigner. Cette remontée bucolique et insouciante est l’occasion pour l’auteur d’évoquer l’histoire de notre pays dont la frontière de l’est s’est souvent jouée au niveau de cette rivière. On traverse avec lui des bourgades tranquilles, presque endormies mais où il fait bon vivre loin du brouhaha parisien et médiatique. Il est question aussi d’écrivains et de peintres ayant puisé leur inspiration dans cette eau limpide et recherchant aussi, entre deux écluses, la ‘rambleur’, lumière trouble typique de ces lieux...et puis évidemment, évocation des guinguettes, ah le petit vin blanc, du champagne...etc etc. C’est une France en marge que nous fait découvrir Jean-Paul Kauffmann, et qui s’assume comme tel :