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CR256 : les croix de bois - Roland Dorgelès

les croix de bois.jpgCe n'est pas utile de faire des manières pour dire des choses simples : les croix de bois évoquent, à travers les souvenirs du narrateur, Jacques (le double de l'auteur), le quotidien dans les tranchées lors de la guerre 14-18. Le récit se compose de 17 chapitres indépendants qui sont chacun comme des tableaux représentant divers moments de la vie des soldats : l'arrière-front, le combat proprement dit, les relèves, l'attente dans les bourgs parmi les villageois. On fait la connaissance de Sulphart, de Gilbert, de Bouffioux (le ch'ti) et autres soldats aux caractères divers évidemment. Jacques, le narrateur, on se demande s'il n'est pas transparent tant il est peu mis à contribution, on ne lui adresse quasiment pas la parole, on dirait qu'il n'est là que pour écrire le livre.

J'ai été bouleversé par ce livre (que j'ai lu non par envie mais parce qu'il m'intéressait de connaître quel roman faillit battre Proust lors du Goncourt 1919 ), par l'humanité et la fraternité unissant ces soldats quotidiennement confrontés au combat et à la possibilité de la mort, si ce n'est sa quasi-certitude, des types venant d'univers différents et qui se retrouvent soudainement soudés face à l'adversité. C'est peut-être banal que de dire tout cela, c'est rabâché sans fin depuis 100 ans mais personnellement, je n'arrive pas à me figurer que né un siècle plus tôt, j'aurais pu être à leur place. Comment aurais-je vécu de pareils moments ? L'homme arrive-t-il donc à s'habituer au pire ? C'est un peu ce qui ressort de ce roman  dont on se souvient des moments de fraternité, de franches rigolades, des taquineries, des dialogues.

Vous verrez...Des années passeront. Puis nous nous retrouverons un jour, nous parlerons des copains, des tranchées, des attaques, de nos misères et de nos rigolades, et nous dirons en riant 'c'était le bon temps'

Et puis, au cœur même du combat, on arrive à rire...ainsi dans cette scène où le soldat Lemoine n'a qu'une idée en tête : entasser des soldats morts devant lui et ses copains pour se protéger :

A quelque pas de l'entonnoir, un officier était couché sur le côté, sa capote ouverte, et, dans ses doigts osseux, il tenait son paquet de pansement, qu'il n'avait pas pu dérouler.

- on devrait essayer de le traîner jusqu'ici, dit Lemoine, ça ferait un de plus pour le parapet. Et avec le Boche qui est là, plus loin...

- T'es pas louf ? grogne Hamel . Tu veux nous faire repérer en les empilant tous devant.

- Ceux des autres trous s'en sont bien fait, des parapets.

En effet, de loin en loin, tout le long de la crête, des hommes se dissimulaient, qu'on pouvait prendre pour des grappes de morts. Allongés derrière la moindre butte, blottis dans les plus petits trous, ils travaillaient presque sans bouger, grattant la terre, avec leur pelle-bêche, et, patiemment, ils élevaient devant eux de petits monticules, des taupinières qu'un souffle eut emportées.

Et dans ce quotidien où la mort est omniprésente, vivre devient un luxe :

Un petit, dans un coin, racle sa langue blanche avec un couteau. Un autre ne vit plus que par l'imperceptible halètement de sa poitrine, les yeux fermés, les dents serrés, toute sa forme ramassée pour se défendre contre la mort, sauver son peu de vie qui tremblote et va fuir.

Il espère, pourtant, ils espèrent tous, même le moribond. Tous veulent vivre, et le petit répète obstinément :

- Ce soir, les brancardiers vont sûrement venir, ils nous l'ont promis hier...

La vie, mais cela se défend jusqu'au dernier frisson, jusqu'au dernier râle. Mais s'ils n'espéraient pas les brancardiers, si le lit d'hôpital ne luisait pas comme un bonheur dans leur rêve de fièvre, ils sortiraient de leur tombe, malgré leurs membres cassés ou leur ventre béant, ils se traîneraient dans les pierres avec leurs griffes, avec leurs dents. Il en faut de la force pour tuer un homme ; il en faut de la souffrance pour abattre un homme...

Cela arrive, pourtant. L'espoir s'envole, la résignation, toute noire, s'abat lourdement sur l'âme. Alors, l'homme résigné ramène sur lui sa couverture, ne dit plus rien, et , comme celui-là qui meurt dans un coin de tombeau, il tourne seulement sa tête fiévreuse, et lèche la pierre qui pleure. 

lecture: janvier 2014, kindle, note : 4.5/5

Commentaires

  • Merci pour ton CR, il me confirme qu'il faut que je lise ce bouquin. J'espère que la médiathèque l'aura ! Dans l'immédiat, je vais commencer "Putain de Guerre", de Tardy, consacré justement à 14-18.

  • Je ne sais pas s'il est suffisamment classique pour être en bibliothèque. Mais je veux bien te l'offrir, si tu veux.

  • Homme de peu de foi ! Il y est, à la médiathèque ! (j'ai vérifié, bien sûr). Mais merci, c'était une très gentille proposition de ta part.

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