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nouveau roman

  • CR280 : les gommes - Alain Robbe-Grillet

    31TYKSSCKKL.jpgLa première idée qui m'est venue lorsque j'ai terminé la lecture de ce curieux roman est qu'il s'agissait d'un polar à l'envers, à savoir que l'on sait à peu près tout  sur tout dès le début (comme dans les Columbo) et puis plus on en avance dans la lecture, plus on commence à avoir des doutes sur la véracité des faits, sur le coupable du crime et sur la réalité du crime lui-même. L'auteur aurait même pu pousser le bouchon plus loin  en mettant en cause l'existence de la victime (un dénommé Daniel Dupont, un solitaire et chercheur en économie, vivant dans un pavillon cossu d'une ville lugubre du nord de la France). Le détective Wallas dépêché de Paris fait office de personnage principal de cette histoire sans queue ni tête. Il loge dans l'unique chambre d'un bar-hôtel paumé dans lequel des habitués alcoolisés se font des devinettes enfantines et discutent de problèmes arithmétiques. Pendant ce temps, Wallas erre dans la ville mais s'y perd très souvent bien qu'empruntant toujours les mêmes rues. Parfois, il s'arrête dans des papeteries pour acheter des gommes (pour quoi faire, on sait pas mais on peut voir dans ces gommes le symbole de ce roman où l'intrigue s'efface petit à petit comme s'effacent sous le frottement de la gomme les traits laissés par un crayon papier). Wallas doit rendre des comptes à Paris où l'on est persuadé que le meurtre du Dupont est le fait d'un groupe terroriste et doit composer aussi avec le commissaire du coin, le commissaire Laurent qui penche pour l'hypothèse du suicide. Pour compliquer les choses, Wallas se retrouve quasiment présumé coupable après que différents témoins lui trouvent une forte ressemblance avec un type louche qui traînait autour du pavillon la veille dudit crime (parce qu'en fait, Dupont n'est pas vraiment mort). 

    Bien qu'estampillé nouveau roman, ce qui signifie souvent lecture ardue, les gommes se lit aisément . Je suis rentré avec délectation dans l'univers étouffant et singulier mis en place par l'auteur dont certains aspects (l'allure de Wallas, l'absurdité de certaines scènes) m'ont fait pensé aux films de Jacques Tati. Cet ancien roman est à mettre entre toutes les mains d'autant plus que certains dialogues dans le bar sont à mourir de rire (en retranscrire un ou deux dans un prochaine note peut-être).

    éditions de minuit, 1953, 364 pages, lecture sur kindle en avril 2015. note : 4.5/5 

  • CR278 : le tramway - Claude Simon

    letramway.jpgEn matière de lecture, je n'aime pas rester sur une défaite et d'avoir interrompu la lecture du tramway il y a quelques années, en fut une. Je m'étais juré d'y revenir et j'ai profité du propos d'une quincaillière me laissant entendre que je ne lisais jamais de roman de la mouvance nouveau roman (dont aujourd'hui les auteurs publiés aux éditions de minuit poursuivent un peu le projet), pour y revenir. Je viens de le terminer ce soir un oeil sur ma liseuse et l'autre sur la deuxième saison de Broadchurch (série anglaise potable, en tout cas moins pire que d'autres). Admirez la prouesse : lire du Claude Simon, l'un des auteurs les plus difficiles qui soit tout en faisant autre chose ! Autant faire cuire des œufs et préparer une vinaigrette en même temps. Et mieux encore, je n'ai pas perdu le fil de l'histoire 

    Je ne sais pas si mes trois lecteurs connaissent Claude Simon (prix Nobel de littérature en 1985  décédé en 2005) mais pour vous donner une idée, voici les premières lignes du roman où le narrateur (qui se souvient qu'étant enfant il avait le privilège de pouvoir aller dans la cabine de pilotage d'un tramway conduit par ce qu'il appelle un wattman ) explique le fonctionnement de la manette de pilotage :

    tram.jpg

    L'un qui ne connaîtrait pas la prose de Simon et qu'on n'aurait pas averti serait déjà tombé de sa chaise. Toute l'oeuvre de l'auteur se résume dans ses quelques lignes (je me souviens que dans la route des Flandres, il lui avait fallu trois pages pour expliquer le dysfonctionnement de la serrure rouillée d'un poulailler), mais je vous rassure Claude Simon ne s'occupe pas uniquement des objets, au contraire même, il y a bien comme ça dans ses romans - un peu comme des parenthèses - des descriptions précises de 'choses' souvent mécaniques mais l'essentiel chez Simon, ce sont les sensations, ce que le tri accompli par la mémoire  nous  laisse de souvenirs épars et en l'occurrence ici, le narrateur est un vieillard gisant dans une chambre d’hôpital (à Paris je crois) et qui se souvient de sa jeunesse au lendemain de la première guerre mondiale dans une ville de bord de mer dont un tramway reliait le centre à la côte. Il se souvient qu'il l'empruntait pour aller et rentrer du collège, de la vie autour de ce véhicule, des hommes mutilés par la guerre, et du quotidien autour du trajet, les différences de classe et puis très vite la lente agonie de sa mère (son père était mort au combat) rongée sans doute par le crabe. Devenu orphelin, il est pris en charge par son oncle et sa tante ou que sa tante, je ne sais plus, (avec Simon, on a le droit de ne pas tout suivre). Mais comme je le stipulais, le récit qui n'est pas linéaire s'avère être plutôt une succession aléatoire de tableaux de cette jeunesse jaillissant  au gré des poussées de fièvre du narrateur dans sa chambre d'hôpital où sa vie ne tient qu'à des tuyaux et des bonbonnes de gaz. 

    On a tort de considérer Claude Simon comme  élitiste ou trop pompeux. Quand on sait à quoi s'en tenir et bien, cela se lit assez agréablement. Et puis quelque part, il n'y a pas plus vrai que cette littérature. A l'orée de la mort, fiévreux et branché de toute part, que peut-il traverser notre esprit si ce ne sont des bribes, des sensations voire même quand on sombre dans une demi-conscience des détails incongrus dont l'intérêt peut échapper au bien-portant ? N'est-ce pas ce qui nous arrive à tous lorsque malades et parvenant à trouver le sommeil 5 mns, des rêves étranges naissent de la fièvre ? 

    Je ne suis pas le meilleur commentateur de Claude Simon. Il a ses adeptes qui se réunissent parfois secrètement en colloques (dans un château de Cerisy-la-Salle) lors desquels j'imagine on ne doit pas beaucoup se marrer (mais peut-être quand même plus qu'à un spectacle de Anne Roumanov ou lors d'un meeting de l'ump) .Vous savez, entre eux, les intellos ne se racontent pas de blagues de Toto mais ils possèdent leur propre sens de l'humour, un peu comme ceux qui s'esclaffaient lors de l'émission Apostrophe sur des sujets ne prêtant pas pourtant à l'hilarité. 

    éditions de minuit, 2001, 144 pages, lecture sur kindle en avril 2015. note : 4/5

    Loïc LT

  • CR271 : Moderato cantabile - Marguerite Duras

    MODERATO_CANTABILE.jpgLongtemps j’ai confondu Marguerite Yourcenar et Marguerite Duras. C’est ainsi, il y a des pans entiers de la littérature qui me sont encore totalement inconnus. J’assume. Mais si tout se passe bien, j’ai encore à peu près 50 ans à vivre. Et comme j’en ai fini avec le 2048, je vais pouvoir rattraper le temps perdu. 

    Tout ce que je sais à propos de Duras, c’est que pour des raisons de sécurité, elle n’a jamais mis les pieds dans une quincaillerie (le jeu c’est de placer le mot quincaillerie dans toutes les notes...quant aux raisons de sécurité, c’est dans l’air du temps, toute décision doit se prendre ou pas pour des raisons de sécurité).

    Avant d’écrire cette note, j’ai lu la fiche de la dame sur wikipedia. Il est stipulé que ses premiers romans dont celui-ci sont à ranger dans la catégorie fourre-tout nouveau roman (le pendant littéraire de la nouvelle vague au cinéma). La vie de Marguerite fut tumultueuse et souvent baignée dans l’alcool.

    L’alcool tient d’ailleurs une bonne place dans ce court et délicieux roman qui se déroule dans une ville de bord de mer, une ville qui pourrait être Rochefort ou La Rochelle, une ville dans laquelle des usines emploient des milliers d’ouvriers. Le personnage principal, Anne Desbaresdes est la femme d’un patron d’une de ces usines. Mais jamais il n’est question du mari ni de la vie du couple. On sait juste qu’ils possèdent une grande maison qui donne sur l’océan et que leur enfant prend des cours de piano chez Mlle Giraud, leçons auxquelles participent Anne. Le récit débute par une de ces leçons (que l’enfant déteste). Un moment, un bruit retentit. Il provient d’un bar de la rue. On apprend très vite qu’un homme vient d’y tuer sa femme. Anne est intriguée par ce meurtre qui semble être passionnel et fait la connaissance d’un type dénommé Chauvin qui fut témoin du drame. Mais Chauvin ne sait pas grand chose. Pourtant, Anne et Chauvin se retrouvent souvent dans ce même bar, ils boivent beaucoup de vin et elle lui pose des questions sur le meurtre mais au fil des jours, elle n’est guère plus avancée. Un soir, elle entre ivre et en retard chez elle où du grand monde est réuni pour un dîner.  Chauvin, son compagnon de l’autre monde erre entre la villa et l’océan et assiste au spectacle de cette bourgeoisie ennuyante.

    La trame de ce roman est ténue mais on le termine perclus de questionnements. Qu’est ce que Anne Desbaresdes cherche auprès de Chauvin ?  Une relation adultère ? Anne est-elle une sorte d’Emma Bovary à la sauce nouveau roman ? Pourquoi est-elle si intriguée par ce meurtre  dont elle  ne connaît ni le meurtrier ni la victime ? Pourquoi boit-elle autant ?

    Moderato cantabile ne laisse pas indifférent. Sa petite musique n’est pas sans rappeler celle de Patrick Modiano. Je suis rarement déçu par un roman publié aux éditions de minuit. Ce dernier ne déroge pas à la règle.

    Je suis en train de lire Meursault contre-enquête et il serait tout aussi amusant de donner une suite au roman de Duras afin d’en savoir plus sur ce crime passionnel. Il y a comme ça des personnages secondaires oubliés dans les limbes de la littérature qui mériteraient une résurrection.  

    lecture : janvier 2015. kindle. roman paru en 1958, éditions de minuit

    Loïc LT

    - le roman a été adapté au cinéma d'où l'illustration (JP Belmondo et Jeanne Moreau)

     

  • CR83 : la route des Flandres - Claude Simon

    41ZH4GFRK3L._SL500_AA240_.jpgnote de l'éditeur : Le capitaine de reixach, abattu en mai 40 par un parachutiste allemand, a-t-il délibérément cherché cette mort ? un de ses cousins, Georges, simple cavalier dans le même régiment, cherche à découvrir la vérité.
    Aidé de blum, prisonnier dans le même camp, il interroge leur compagnon Iglésia qui fut jadis jockey de l'écurie Reixach. après la guerre, il finit par retrouver Corinne, la jeune veuve du capitaine...


    mon avis : La Route des Flandres est sans doute le roman le plus difficile qu'il m'ait été donné de lire. Je cherche dans mes souvenirs de lecteur et je ne vois aucun autre où j'ai peiné à ce point. Deux raisons essentielles à cela :
    un : le style très heurté, avec peu de ponctuation et une utilisation pléthorique du participe présent et surtout l'impression que les mots s'entrechoquent, se heurtent, s'anéantissent plutôt que de se suivre harmonieusement.
    deux : la conduite du récit. pas vraiment de plan structuré mais une succession d'images désordonnées comme sorties d'un rêve absurde, d'un cauchemar plutôt parce qu'il s'agit (à ce que j'ai cru comprendre) de l'histoire de 3 soldats errant après la débâcle de 1940. Alors, à force d'inattention, j'ai failli plusieurs fois perdre le fil et d'ailleurs je l'ai perdu des pages entières avant de me ressaisir à la faveur de passages un peu plus explicites, mais le soucis c'est que l'auteur semble prendre un malin plaisir à dérouter le lecteur en brouillant les cartes et par exemple en passant d'une scène à l'autre dans la même phrase, voire même d'un narrateur à l'autre (le je de la fin d'une phrase n'est pas forcément le même je qu'au début..). Alors est-ce que j'ai aimé ou pas ce roman. La réponse est plutôt oui. Je pense que ça vaut la peine de le lire, qu'il faut prendre ça comme un challenge et puis accepter de ne pas tout saisir, de mettre l'intrigue au second plan pour se laisser emporter par l'écriture, qui est, comme je l'ai lu je ne sais plus où, le personnage principal de ce roman. Et quelques passages sont à ce point sublimes qu'ils valent à eux seul l'ingurgitation des 300 pages.

    J'ai choisi 3 extraits . Avec, pour commencer, la description p234 (collection "double" éditions de minuit) du système d'ouverture d'un poulailler. savoureux.

    ...puis, plus à gauche, jaillissant juste de l'arête du dièdre comme d'une fissure entre la terre et le mur, il y avait une de ces plantes sauvages : une touffe, ou plutôt une corolle de feuilles réparties en couronne (comme un jet d'eau retombant), déchiquetées, dentelées et hérissées (comme ces anciennes armes ou harpons), vert foncé, râpeuses, puis, après cela, encore la tige - celle-ci légèrement inclinée vers la droite - d'une de ces mêmes hautes plantes, puis fixé au mur par un (sans doute y en avait-il encore un autre plus haut, mais il ne pouvait pas non plus le voir) tenon de fer, le montant ou plutôt le chevron de bois sur lequel était articulée une porte de poulailler : le tenon complètement rouillé, scellé dans le mur de briques, le ciment autour de l'épaisse lame de fer formant une collerette crémeuse dans laquelle on pouvait encore voir les traces de la truelle qui en lissant le mortier y avait laissé des empreintes dessinées par une bavure (léger bourgeonnement grumeleux de la matière pressée) en relief, le chevron - le montant de la porte, comme d'ailleurs son châssis lui-même - décoloré par la pluie, grisâtre, et, pour ainsi dire feuilleté, comme de la cendre de cigare, le châssis, lui, à moitié déglingué une des deux chevilles de bois qui tenaient l'angle inférieur presque sortie de son logement, le tout ayant pris du jeu, la traverse inférieure faisant donc avec le montant vertical un angle non pas droit mais légèrement obtus de sorte qu'elle devait racler le sol quand on ouvrait la porte...


    (j'ai mis 3 petits points au début et à la fin car je n'ai trouvé ni le début de la phrase (qui devait se trouver sans doute quelques pages avant) ni la fin. Et puis un autre extrait, un brin baroque, où il est question de l'envol d'un cavalier (p149-150) (idem pour les ...)


    ...je vis Wack qui venait de me dépasser penché sur l'encolure le visage tourné vers moi la bouche ouverte lui aussi essayant sans doute de me crier quelque chose qu'il n'avait pas assez d'air pour faire entendre et tout à coup soulevé de sa selle comme si un crochet une main invisible l'avait attrapé par le col de son manteau et s'élevant lentement c'est à dire à peu près immobile par rapport à (c'est à dire animé à peu près de la même vitesse que) son cheval qui continuait à galoper et moi courant toujours quoi qu'un peu moins vite de sorte queWack son cheval et moi-même formions un groupe d'objets entre lesquels les distances ne se modifiaient que lentement lui se trouvant à présent exactement au-dessus du cheval dont il venait d'être enlevé arraché s'élevant lentement dans les airs les jambes toujours écartées en arc de cercle comme s'il continuait à chevaucher quelque Pégase invisible qui d'une ruade l'eût fait basculer en avant exécutant donc au ralenti et pour ainsi dire sur place...


    et p285, on croit rêver, on croit pas, on rêve (et je signale au passage que pour cet extrait comme pour les deux précédents, je respecte scrupuleusement syntaxe et ponctuation -je dis ça parce que ça peut surprendre)


    mais comment savoir, comment savoir ? les quatre cavaliers et les cinq chevaux somnambuliques et non pas avançant mais levant et reposant les pieds sur place pratiquement immobiles sur la route, la carte la vaste surface de la terre les prés les bois se déplaçant lentement sous et autour d'eux les positions respectives des haies des bouquets d'arbres des maisons se modifiant insensiblement, les quatre hommes reliés entre eux par un invisible et complexe réseau de forces d'impulsions d'attractions ou de répulsions s'entrecroisant et se combinant pour former pour ainsi dire par leurs résultantes le polygone de sustentation du groupe se déformant lui-même sans cesse du fait des incessantes modifications provoquées par des accidents internes ou externes


    lecture du 05.04 au 08.04
    note : 4/5
    à venir : les gens d'en face, Georges Simenon