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éditions de minuit

  • CR278 : le tramway - Claude Simon

    letramway.jpgEn matière de lecture, je n'aime pas rester sur une défaite et d'avoir interrompu la lecture du tramway il y a quelques années, en fut une. Je m'étais juré d'y revenir et j'ai profité du propos d'une quincaillière me laissant entendre que je ne lisais jamais de roman de la mouvance nouveau roman (dont aujourd'hui les auteurs publiés aux éditions de minuit poursuivent un peu le projet), pour y revenir. Je viens de le terminer ce soir un oeil sur ma liseuse et l'autre sur la deuxième saison de Broadchurch (série anglaise potable, en tout cas moins pire que d'autres). Admirez la prouesse : lire du Claude Simon, l'un des auteurs les plus difficiles qui soit tout en faisant autre chose ! Autant faire cuire des œufs et préparer une vinaigrette en même temps. Et mieux encore, je n'ai pas perdu le fil de l'histoire 

    Je ne sais pas si mes trois lecteurs connaissent Claude Simon (prix Nobel de littérature en 1985  décédé en 2005) mais pour vous donner une idée, voici les premières lignes du roman où le narrateur (qui se souvient qu'étant enfant il avait le privilège de pouvoir aller dans la cabine de pilotage d'un tramway conduit par ce qu'il appelle un wattman ) explique le fonctionnement de la manette de pilotage :

    tram.jpg

    L'un qui ne connaîtrait pas la prose de Simon et qu'on n'aurait pas averti serait déjà tombé de sa chaise. Toute l'oeuvre de l'auteur se résume dans ses quelques lignes (je me souviens que dans la route des Flandres, il lui avait fallu trois pages pour expliquer le dysfonctionnement de la serrure rouillée d'un poulailler), mais je vous rassure Claude Simon ne s'occupe pas uniquement des objets, au contraire même, il y a bien comme ça dans ses romans - un peu comme des parenthèses - des descriptions précises de 'choses' souvent mécaniques mais l'essentiel chez Simon, ce sont les sensations, ce que le tri accompli par la mémoire  nous  laisse de souvenirs épars et en l'occurrence ici, le narrateur est un vieillard gisant dans une chambre d’hôpital (à Paris je crois) et qui se souvient de sa jeunesse au lendemain de la première guerre mondiale dans une ville de bord de mer dont un tramway reliait le centre à la côte. Il se souvient qu'il l'empruntait pour aller et rentrer du collège, de la vie autour de ce véhicule, des hommes mutilés par la guerre, et du quotidien autour du trajet, les différences de classe et puis très vite la lente agonie de sa mère (son père était mort au combat) rongée sans doute par le crabe. Devenu orphelin, il est pris en charge par son oncle et sa tante ou que sa tante, je ne sais plus, (avec Simon, on a le droit de ne pas tout suivre). Mais comme je le stipulais, le récit qui n'est pas linéaire s'avère être plutôt une succession aléatoire de tableaux de cette jeunesse jaillissant  au gré des poussées de fièvre du narrateur dans sa chambre d'hôpital où sa vie ne tient qu'à des tuyaux et des bonbonnes de gaz. 

    On a tort de considérer Claude Simon comme  élitiste ou trop pompeux. Quand on sait à quoi s'en tenir et bien, cela se lit assez agréablement. Et puis quelque part, il n'y a pas plus vrai que cette littérature. A l'orée de la mort, fiévreux et branché de toute part, que peut-il traverser notre esprit si ce ne sont des bribes, des sensations voire même quand on sombre dans une demi-conscience des détails incongrus dont l'intérêt peut échapper au bien-portant ? N'est-ce pas ce qui nous arrive à tous lorsque malades et parvenant à trouver le sommeil 5 mns, des rêves étranges naissent de la fièvre ? 

    Je ne suis pas le meilleur commentateur de Claude Simon. Il a ses adeptes qui se réunissent parfois secrètement en colloques (dans un château de Cerisy-la-Salle) lors desquels j'imagine on ne doit pas beaucoup se marrer (mais peut-être quand même plus qu'à un spectacle de Anne Roumanov ou lors d'un meeting de l'ump) .Vous savez, entre eux, les intellos ne se racontent pas de blagues de Toto mais ils possèdent leur propre sens de l'humour, un peu comme ceux qui s'esclaffaient lors de l'émission Apostrophe sur des sujets ne prêtant pas pourtant à l'hilarité. 

    éditions de minuit, 2001, 144 pages, lecture sur kindle en avril 2015. note : 4/5

    Loïc LT

  • CR271 : Moderato cantabile - Marguerite Duras

    MODERATO_CANTABILE.jpgLongtemps j’ai confondu Marguerite Yourcenar et Marguerite Duras. C’est ainsi, il y a des pans entiers de la littérature qui me sont encore totalement inconnus. J’assume. Mais si tout se passe bien, j’ai encore à peu près 50 ans à vivre. Et comme j’en ai fini avec le 2048, je vais pouvoir rattraper le temps perdu. 

    Tout ce que je sais à propos de Duras, c’est que pour des raisons de sécurité, elle n’a jamais mis les pieds dans une quincaillerie (le jeu c’est de placer le mot quincaillerie dans toutes les notes...quant aux raisons de sécurité, c’est dans l’air du temps, toute décision doit se prendre ou pas pour des raisons de sécurité).

    Avant d’écrire cette note, j’ai lu la fiche de la dame sur wikipedia. Il est stipulé que ses premiers romans dont celui-ci sont à ranger dans la catégorie fourre-tout nouveau roman (le pendant littéraire de la nouvelle vague au cinéma). La vie de Marguerite fut tumultueuse et souvent baignée dans l’alcool.

    L’alcool tient d’ailleurs une bonne place dans ce court et délicieux roman qui se déroule dans une ville de bord de mer, une ville qui pourrait être Rochefort ou La Rochelle, une ville dans laquelle des usines emploient des milliers d’ouvriers. Le personnage principal, Anne Desbaresdes est la femme d’un patron d’une de ces usines. Mais jamais il n’est question du mari ni de la vie du couple. On sait juste qu’ils possèdent une grande maison qui donne sur l’océan et que leur enfant prend des cours de piano chez Mlle Giraud, leçons auxquelles participent Anne. Le récit débute par une de ces leçons (que l’enfant déteste). Un moment, un bruit retentit. Il provient d’un bar de la rue. On apprend très vite qu’un homme vient d’y tuer sa femme. Anne est intriguée par ce meurtre qui semble être passionnel et fait la connaissance d’un type dénommé Chauvin qui fut témoin du drame. Mais Chauvin ne sait pas grand chose. Pourtant, Anne et Chauvin se retrouvent souvent dans ce même bar, ils boivent beaucoup de vin et elle lui pose des questions sur le meurtre mais au fil des jours, elle n’est guère plus avancée. Un soir, elle entre ivre et en retard chez elle où du grand monde est réuni pour un dîner.  Chauvin, son compagnon de l’autre monde erre entre la villa et l’océan et assiste au spectacle de cette bourgeoisie ennuyante.

    La trame de ce roman est ténue mais on le termine perclus de questionnements. Qu’est ce que Anne Desbaresdes cherche auprès de Chauvin ?  Une relation adultère ? Anne est-elle une sorte d’Emma Bovary à la sauce nouveau roman ? Pourquoi est-elle si intriguée par ce meurtre  dont elle  ne connaît ni le meurtrier ni la victime ? Pourquoi boit-elle autant ?

    Moderato cantabile ne laisse pas indifférent. Sa petite musique n’est pas sans rappeler celle de Patrick Modiano. Je suis rarement déçu par un roman publié aux éditions de minuit. Ce dernier ne déroge pas à la règle.

    Je suis en train de lire Meursault contre-enquête et il serait tout aussi amusant de donner une suite au roman de Duras afin d’en savoir plus sur ce crime passionnel. Il y a comme ça des personnages secondaires oubliés dans les limbes de la littérature qui mériteraient une résurrection.  

    lecture : janvier 2015. kindle. roman paru en 1958, éditions de minuit

    Loïc LT

    - le roman a été adapté au cinéma d'où l'illustration (JP Belmondo et Jeanne Moreau)

     

  • coup de coeur : *l'établi* de Robert Linhart

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    Fin 1968, l'intellectuel maoïste Robert Linhardt décide de se faire embaucher dans l'usine Citroen de Choisy afin de vivre au quotidien avec les ouvriers et de tenter d'y instiller ses idées révolutionnaires. Ce livre est un document incroyable sur la condition ouvrière, vu ici sous l'angle unique la la lutte des classes. C'est un parti pris évidemment mais n'empêche que c'est un livre très fort doublé d'une oeuvre littéraire. Pendant 2 jours, je me suis senti presque communiste. 

    Un petit extrait savoureux pour mettre en bouche  (avant un hypothétique compte rendu) ? Un jour , un des grands directeurs, entouré de proches collaborateurs viennent faire une petite visite :

    "Trois heures et demi. Qu'est-ce que c'est que ça, encore ? L'atelier est envahi. Blouses blanches, blouses bleues, combinaisons de régleurs, complets-veston-cravate... Ils marchent d'un pas décidé, sur un front de cinq mètres, parlent fort, écartent de leur passage tout ce qui gêne. Pas de doute, ils sont chez eux, c'est à eux tout ça, ils sont les maîtres. Visite surprise de landlords, de propriétaires, tout ce que vous voudrez (bien sûr, légalement, c'est des salariés, comme tout le monde. Mais regardez-les : le gratin des salariés, c'est déjà le patronat, et ça vous écrase du regard au passage comme si vous étiez un insecte). Élégants, les complets, avec fines rayures, plis partout où il faut, impeccables, repassés (qu'est-ce qu'on peut se sentir clodo, tout à coup, dans sa vareuse tachée, trouée, trempée de sueur et d'huile, à trimbaler des tôles crues), juste la cravate un peu desserrée parfois, pour la chaleur, et un échantillon complet de gueules de cadres, les visages bouffis des vieux importants, les visages studieux à lunettes des jeunes ingénieurs frais émoulus de la grande école, et ceux qui essayent de se faire la tête énergique du cadre qui en veut, celui qui fume des Marlboro, s'asperge d'un after-shave exotique et sait prendre une décision en deux secondes (doit faire du voilier celui-là), et les traits serviles de celui qui trottine tout juste derrière Monsieur le Directeur le plus important du lot, l'arriviste à attaché-case, bien décidé à ne jamais quitter son supérieur de plus de cinquante centimètres, et des cheveux bien peignés, des raies régulières, des coiffures à la mode, de la brillantine au kilo, des joues rasées de près dans des salles de bain confortables, des blouses repassées, sans une tache, des bedaines de bureaucrates, des blocs-notes, des serviettes, des dossiers... Combien sont-ils ? Sept ou huit, mais ils font du bruit pour quinze, parlent fort, virevoltent dans l'atelier. Le contremaître Gravier a bondi hors de sa cage vitrée pour accueillir ("Bonjour, Monsieur le Directeur... blablabla... Oui, Monsieur le Directeur... comme l'a dit Monsieur le chef de service adjoint de... prévenu... les chiffres... ici... la liste... depuis ce matin... blablabla... Monsieur le Directeur") et Antoine le chef d'équipe court aussi se coller à la troupe, et même Danglois, le régleur du syndicat jaune, sorti d'on ne sait où, ramène sa blouse grise et son tas de graisse pour accompagner ces messieurs. Et tout ce beau monde va, vient, regarde, note, vous bouscule au passage, envoie chercher ceci, envoie chercher cela.
    Au milieu, leur chef, Monsieur le directeur de je ne sais plus quoi (mais très haut dans la hiérarchie Citroën, proche collaborateur de Bercot, s'il vous plaît), Bineau. Gros, l'air autoritaire, sanglé dans un complet trois pièces sombre, rosette à la boutonnière. Il a une tête de type qui lit le Figaro à l'arrière de sa DS noire étincelante, pendant que le chauffeur à casquette fait du slalom dans les embouteillages. Il mène la danse, Bineau. L'air pas commode avec ça : on n'aurait pas intérêt à essayer de lui raconter des histoires. Regard perçant, ton cassant, soyez précis, soyez bref, je comprends vite, mon temps c'est beaucoup d'argent, beaucoup plus que vous n'en verrez passer dans l'année. Un vrai meneur d'hommes. Mieux : un manager. L'œil fixé sur la courbe irrégulière du cash-flow.


  • CR147 : nuage rouge - Christian Gailly

    nuage rouge.jpgprésentation de l'éditeur : Un homme roule sur une route de campagne. Il rentre chez lui. Il est presque rendu. C'eût été trop simple : une voiture arrive en face, c'est celle de son ami Lucien, mais quand il la croise, Lucien n'est pas à l'intérieur, c'est une femme qui conduit, une inconnue au visage flou, dominé par le rouge. Qui est-elle ? Et Lucien, où est-il ? Et ce rouge, qu'est-ce que c'est ? Du rouge à lèvres ? De la confiture ? Du sang ? On dirait des peintures de guerre.

    mon avis : Une bonne histoire (pour dire les choses franchement, c'est l'histoire d'un viol qui "tourne mal" : la femme se défend et coupe les couilles de Lucien, le violeur et ami du narrateur et donc la personne que le narrateur croise en voiture est cette femme qui quitte les lieux du viol avec la voiture de Lucien), un style original (sans être trop précieux), une atmosphère...font un excellent roman d'un auteur des éditions de minuit que je ne connaissais pas. Je me suis laissé embarqué par ce récit, par ce ton hésitant (mais assumé comme tel). Un vrai bijou de littérature empreint de poésie et d'humour. Du travail d'orfèvre.

    roman, paru en 2000
    collection "double, éditions de minuit, 191 pages
    lecture le 11.02.2010
    note : 4/5

  • CR122 : la vérité sur Marie - Jean-Philippe Toussaint

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    le mot de l'éditeur : L'orage, la nuit, le vent, la pluie, le feu, les éclairs, le sexe et la mort. Plus tard, en repensant aux heures sombres de cette nuit caniculaire, je me suis rendu compte que nous avions fait l'amour au même moment, Marie et moi, mais pas ensemble. La Vérité sur Marie n'est pas à proprement parler une suite, mais un prolongement de Faire l'amour (2002) et Fuir (Prix Médicis 2005).

    mon avis : En ce moment, je suis très éditions de minuit, j'aime cette maison, ses auteurs, la ligne générale..mais ça n'empêche pas des déceptions et ce roman de JP Toussaint en fait partie. Je reconnais  bien à l'auteur un certain talent pour organiser le récit, pour surprendre le lecteur par une sorte de va-et-vient du narrateur mais le fond de l'histoire m'a laissé de marbre. Car de cette Marie finalement, on n'en sait finalement très peu et en tout cas on est loin d'en savoir la vérité. Par contre, pour une raison qui m'échappe, l'écrivain s'est attaché à décrire minutieusement le passage à la frontière d'une cheval de course, les tracasseries administratives qui vont avec et le voyage en avion ou à décrire l'intervention du SAMU venu secourir Jean-Christophe de G le nouvel amant de Marie...Dans un roman de 200 pages, je me pose la question de savoir s'il n'aurait pas été plus judicieux de réduire ces événements à leur plus simple expression pour se concentrer sur l'essentiel
    - Cette manie que j'ai de dire ce qu'il aurait fallu faire alors que je ne suis pas capable d'écrire une nouvelle de trois pages-

    Mais quand même, puisqu'une seule phrase ou un seul paragraphe d'un roman peur suffire à considérer qu'on n'a pas perdu de temps à le lire (on en parlait quelque part), voici celui-ci (page 169/170) :

    Aussi curieux que cela puisse paraître, je plaisais à Marie, je lui avais toujours plu. D'ailleurs, je m'étais aperçu que je plaisais, peut-être pas aux femmes en général, mais à chaque femme en particulier, chacune croyant être la seule, par sa perspicacité singulière, son regard pénétrant et son intuition féminine, à repérer en moi des qualités secrètes qu'elles s'imaginaient être les seules à pouvoir détecter. Chacune d'elles était en fait persuadée que ces qualités invisibles, qu'elles avaient décelées en moi, échappaient à tout autre qu'elle-même, alors qu'elles étaient en réalité très nombreuses à être ainsi les seules à apprécier mes qualités secrètes et à tomber sous le charme. Mais il est vrai que ces qualités secrètes ne sautaient pas aux yeux, et que, à force de nuances et de subtilités, mon charme pouvait passer pour terne et mon humour pour éteint, tant l'excès de finesse finit par confiner à la fadeur.

    roman, paru en 09/2009
    éditions de minuit, 205 pages
    lecture du 14/10 au 16/10/09
    note : 2.5/5
    à venir : classes tous risques, José Giovanni

     

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