La première idée qui m'est venue lorsque j'ai terminé la lecture de ce curieux roman est qu'il s'agissait d'un polar à l'envers, à savoir que l'on sait à peu près tout sur tout dès le début (comme dans les Columbo) et puis plus on en avance dans la lecture, plus on commence à avoir des doutes sur la véracité des faits, sur le coupable du crime et sur la réalité du crime lui-même. L'auteur aurait même pu pousser le bouchon plus loin en mettant en cause l'existence de la victime (un dénommé Daniel Dupont, un solitaire et chercheur en économie, vivant dans un pavillon cossu d'une ville lugubre du nord de la France). Le détective Wallas dépêché de Paris fait office de personnage principal de cette histoire sans queue ni tête. Il loge dans l'unique chambre d'un bar-hôtel paumé dans lequel des habitués alcoolisés se font des devinettes enfantines et discutent de problèmes arithmétiques. Pendant ce temps, Wallas erre dans la ville mais s'y perd très souvent bien qu'empruntant toujours les mêmes rues. Parfois, il s'arrête dans des papeteries pour acheter des gommes (pour quoi faire, on sait pas mais on peut voir dans ces gommes le symbole de ce roman où l'intrigue s'efface petit à petit comme s'effacent sous le frottement de la gomme les traits laissés par un crayon papier). Wallas doit rendre des comptes à Paris où l'on est persuadé que le meurtre du Dupont est le fait d'un groupe terroriste et doit composer aussi avec le commissaire du coin, le commissaire Laurent qui penche pour l'hypothèse du suicide. Pour compliquer les choses, Wallas se retrouve quasiment présumé coupable après que différents témoins lui trouvent une forte ressemblance avec un type louche qui traînait autour du pavillon la veille dudit crime (parce qu'en fait, Dupont n'est pas vraiment mort).
Bien qu'estampillé nouveau roman, ce qui signifie souvent lecture ardue, les gommes se lit aisément . Je suis rentré avec délectation dans l'univers étouffant et singulier mis en place par l'auteur dont certains aspects (l'allure de Wallas, l'absurdité de certaines scènes) m'ont fait pensé aux films de Jacques Tati. Cet ancien roman est à mettre entre toutes les mains d'autant plus que certains dialogues dans le bar sont à mourir de rire (en retranscrire un ou deux dans un prochaine note peut-être).
éditions de minuit, 1953, 364 pages, lecture sur kindle en avril 2015. note : 4.5/5
Commentaires
En fait, tu m'épargnes l'ennui de lire ces trucs là. Je suis donc toujours assidue lors de tes comptes-rendus d'auteurs dont je sais que je ne les lirai jamais.
A la fac, j'avais une prof de littérature qui nous gonflait avec Robbe-Grillet. Robbe-Grillet par-ci, Robbe-Grillet par là... je pense qu'aucun de nous n'avait jamais lu ses bouquins, et elle semblait avoir eu l'occasion de le rencontrer. Parfaite illustration de ce qu'est la fac : un fossé qui sépare profs et étudiants.
Mais je m'égare. Merci pour ce compte-rendu, et j'attends maintenant la retranscription des dialogues de bar dont tu parles (à Paris, dimanche dernier, j'ai pris mon petit déjeuner dans un vieux bar, décoration défraichie et ambiance populaire... j'ai beaucoup aimé).
Pourtant j'aimerais que mes notes de lecture donnent envie de lire les romans...Mais je vais retranscrire quelques dialogues pour te mettre l'eau à la bouche.