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robert linhart

  • CR235 : l'établi - Robert Linhart

    compte rendu de lecture,littérature,littérature française,livre,culture,robert linhartAh ba, je croyais avoir fait le compte rendu de l'établi mais non en fait. Comme le match de foot est chiant et que je suis seul et bien pourquoi ne pas m'y mettre, ça fait quand même déjà trois semaines que je l'ai lu. J'ai découvert Robert Linhart dans l'émission Hors-Champs de Laure Adler sur France Culture. Il fut dans les années 60 l'un des principaux leaders d'un mouvement maoïste (avant de couler une bielle par la suite, ce que raconte sa fille Virginie dans le jour où mon père s'est tu) et à ce titre, avec ses camarades, décision fut prise de s'établir incognito dans les usines afin déjà de voir en vrai la réalité du monde ouvrier et puis de tenter de semer les graines de la révolte. Fin 1968, quelques mois après la Grande Révolution donc, Robert a choisi sa proie : ce sera l'usine Citroen de Clichy où l'on fabrique essentiellement des 2CV. Dans l'établi (écrit 10 ans après l'expérience et n'ayant pas pris de note, en faisant appel à se seule mémoire), Robert raconte ces quelques mois parmi les ouvriers. Il raconte comment il se fait embaucher très facilement (on ne s'embarasse pas trop avec les formalités à cette époque-là) et comment les premiers jours, il ne parvient pas à faire ce qu'on lui demande tant il est emprunté. Bon an mal an, il arrive à se stabiliser à un poste et là, au fil des semaines, tranquillement il essaie de rentrer en contact avec les ouvriers, afin de voir ce qu'ils ont dans le ventre. Il est déçu de constater un certain fatalisme chez ces derniers et puis surtout il réalise que ses belles idées révolutionnaires ne pèsent pas lourd à côté du poids du quotidien. Le système répressif très subtil mis en place par Citroen est par ailleurs implacable. Les petits chefs lèchent le cul des grands pontes et l'organisation de la production empêche toute vélléité contestataire. Robert se trouve un peu coincé et se désespère.

    Et puis arrive un jour où une nouvelle injustice s'abat sur les ouvriers : la direction décide subitement que les jours non travaillés pendant les événements du printemps 68 doivent être récupérés (je schématise) et que donc tous les salariés vont devoir finir une heure plus tard tous les soirs pendant quelques mois. Devant le manque de réactivité du syndicat (qui en prend pour son grade pendant tout le récit tant il apparaît comme étant à la botte de la direction), Robert et quelques autres meneurs décident de passer à l'attaque. Un jour où tout le monde devait finir à 18:00 au lieu des habituels 17:00, un débrayage a lieu, pas très bien suivi les premiers jours et puis, petit à petit le mouvement prend de l'ampleur. Robert est heureux, il a  ce qu'il voulait. Mais la direction réagit, fait du chantage auprès des africains en situation plus ou moins irrégulière. Certains sont même virés. Robert est fourgué dans une annexe en dehors de l'usine, il perd le contact et le mouvement se termine en queue de poisson. Par ailleurs, on a découvert que Robert était un intellectuel de gauche. Démasqué il est viré mais il s'en fout, il n'avait pas prévu rester. Et de toute façon, le jour où il quitte l'usine, celle-ci ferme définitivement ses portes.

    C'est un document remarquable, non seulement sur le combat contre les puissances obscures du capitalisme mais aussi sur le quotidien des ouvriers dans les années 60. La fraternité entre tous ces gens de nationalités différentes (beaucoup d'africains et de yougoslaves) est touchante. Robert retranscrit à merveille la petite histoire de chacun, les drames, les joies car (clin d'oeil à Franck Magloire qui a eu la gentillesse de m'envoyer un petit mail),

    les bourgeois s'imaginent toujours avoir le monopole des itinéraires personnels. Quelle farce ! Ils ont le monopole de la parole publique, c'est tout. Ils s'étalent. Les autres vivent leur histoire avec intensité, mais en silence'

    Même si depuis, beaucoup de choses ont changé et que, bon an mal an,  la condition des ouvriers s'est quand même améliorée, le rapport de force entre les dominants et les dominés est toujours là, mais on ne sait plus trop qui sont les dominants, dans quel tour de quel pays ils prennent des décisions ayant pour but d'augmenter les marges. Il faut lire l'établi, qui par ailleurs est un bijou littéraire. Bravo Robert. Ce monde de fous a besoin de visionnaires comme toi. 

    lecture : juillet 2012, éditions de minuit, kindle, note : 4/5

    loïc LT

     

  • l'histoire fade d'un non plagiat

    Vous voulez savoir pourquoi je suis en train de lire ouvrière de Franck Magloire alors que je viens de finir l'établi de Robert Linhart où il est également question du monde ouvrier, alors que je suis moi même ouvrier et que donc peut-être j'aurais dû en avoir assez de tout ça ? Nan, ba je m'en vais vous le dire quand même. Mais avant toute chose, je vous préviens, ce n'est pas très intéressant. C'est avant tout pour me faire plaisir, pour que dans quelques années en parcourant les archives de l'espèce de blog je retombe sur cette note que me rappelera combien je peux avoir les chevilles qui enflent parfois, combien un blogueur surestime ses capacités et sa capacité de nuisance. 

    Les faits. Dans l'établi, l'intellectuel maoïste Robert Linhart raconte son immersion dans une usine Citroën en 1969. Se faisant passer pour un naïf provincial débarquant à Paris, il ambitionne (comme d'autres de ces camarades gauchistes ; ils appelaient ça l'établissement) de jeter les graines de la révolte ouvrière dans la fabrique de deudeuches. C'est un livre brillant et un moment, dans ce livre il écrit :

    les bourgeois s'imaginent toujours avoir le monopole des itinéraires personnels. Quelle farce ! Ils ont le monopole de la parole publique, c'est tout. Ils s'étalent. Les autres vivent leur histoire avec intensité, mais en silence'

    Ce passage me marqua. Après l'avoir lu, j'ai levé la tête et je me suis dit 'c'est bien dit et c'est tellement vrai". Et le soir, butinant sur le site Babelio où je suis inscris et où je passe du bon temps à ranger ma bibliothèque virtuelle, je tombe sur une citation extraite  du livre ouvrière de Franck Magloire postée par un membre de la communauté. Comment en suis-je arrivé à lire cette citation ? Je ne saurais dire. Peut-être que par enchainement d'associations dont seul internet à la clé, parce que je venais de finir un livre traitant du monde ouvrier m'emmena-t-on à lire des critiques et citations d'un autre livre traitant du monde ouvrier ?  Voici la citation extraite du livre de Franck Magloire :

    Les bourgeois s'imaginent avoir le monopole des itinéraires alors qu'ils n'ont que celui de la parole publique, c'est tout. Les ouvriers [...] vivent leur histoire avec une égale intensité mais en silence.

    Toute de suite, je me souviens avoir lu quasiment la même chose dans l'établi. Je fais quelques recherches et donc, je m'aperçois, comme peuvent le constater les quelques lecteurs qui me suivent encore que bien que se ressemblant beaucoup (trop pour que ce soit la hasard), les deux citations sont  légèrement différentes. De deux choses l'une, me dis-je : ou Franck Magloire cite Robert Linhart et donc les deux extraits devraient être totalement identiques où alors il le plagie (pensant que tout le monde a oublié l'établi sorti en 1980) en opérant quelques variantes. Je m'en refère donc auprès du membre de Babelio ayant posté la citation de Franck Magloire afin qu'il me renseigne sur la chose, je lui demande de me confirmer que la citation est bien présente telle quelle dans ouvrière. Mais je n'obtiens pas de réponse. Du coup, quelques jours plus tard, désirant connaître le fin mot de l'histoire (pénible j'en conviens), je me porte acquéreur de la version numérique du livre de Franck Magloire (qui pour l'anecdote habite pas loin de chez moi). Verdict : au bout de quelques pages, la citation s'offre à moi...elle est en italique et la narratrice (mère de l'auteur en fait) précise bien qu'il s'agit d'une phrase d'un autre :

    ...et il réinvente, il cite même pour m'en convaincre : 'Les bourgeois s'imaginent avoir le monopole des itinéraires alors qu'ils n'ont que celui de la parole publique, c'est tout. Les ouvriers [...] vivent leur histoire avec une égale intensité mais en silence'.

    Et moi qui croyais avoir pris un auteur en flagrant délit de plagiat, pensant être le seul (j'ai même fait des recherches en tapant des trucs du genre 'magloire linhart plagiat' et j'étais satisfait de constater qu'il n'y avait aucune réponse et je me voyais déjà tout fier de dévoiler le pot aux roses au monde entier ou tout du moins au microcosme littéraire, pour peu que les articles de mon blog tombe sous le regard de quelque individu du milieu littéraire qui aurait relayé l'information...pitoyable. Mais je suis quand même content que Franck magloire n'ait plagié personne et puis je prolonge évidemment la lecture d'ouvrière qui raconte la vie de sa mère ouvrière à l'usine Moulinex située près de Caen (et fermée aujourd'hui va sans dire). Mais quand même, le lecteur de Babelio qui cite Franck Magloire citant Robert Linhart, avouez (au fait, il y a encore quelqu'un ?) qu'il y avait de quoi se méprendre, non ?

     Loïc LT, 19:10

  • coup de coeur : *l'établi* de Robert Linhart

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    Fin 1968, l'intellectuel maoïste Robert Linhardt décide de se faire embaucher dans l'usine Citroen de Choisy afin de vivre au quotidien avec les ouvriers et de tenter d'y instiller ses idées révolutionnaires. Ce livre est un document incroyable sur la condition ouvrière, vu ici sous l'angle unique la la lutte des classes. C'est un parti pris évidemment mais n'empêche que c'est un livre très fort doublé d'une oeuvre littéraire. Pendant 2 jours, je me suis senti presque communiste. 

    Un petit extrait savoureux pour mettre en bouche  (avant un hypothétique compte rendu) ? Un jour , un des grands directeurs, entouré de proches collaborateurs viennent faire une petite visite :

    "Trois heures et demi. Qu'est-ce que c'est que ça, encore ? L'atelier est envahi. Blouses blanches, blouses bleues, combinaisons de régleurs, complets-veston-cravate... Ils marchent d'un pas décidé, sur un front de cinq mètres, parlent fort, écartent de leur passage tout ce qui gêne. Pas de doute, ils sont chez eux, c'est à eux tout ça, ils sont les maîtres. Visite surprise de landlords, de propriétaires, tout ce que vous voudrez (bien sûr, légalement, c'est des salariés, comme tout le monde. Mais regardez-les : le gratin des salariés, c'est déjà le patronat, et ça vous écrase du regard au passage comme si vous étiez un insecte). Élégants, les complets, avec fines rayures, plis partout où il faut, impeccables, repassés (qu'est-ce qu'on peut se sentir clodo, tout à coup, dans sa vareuse tachée, trouée, trempée de sueur et d'huile, à trimbaler des tôles crues), juste la cravate un peu desserrée parfois, pour la chaleur, et un échantillon complet de gueules de cadres, les visages bouffis des vieux importants, les visages studieux à lunettes des jeunes ingénieurs frais émoulus de la grande école, et ceux qui essayent de se faire la tête énergique du cadre qui en veut, celui qui fume des Marlboro, s'asperge d'un after-shave exotique et sait prendre une décision en deux secondes (doit faire du voilier celui-là), et les traits serviles de celui qui trottine tout juste derrière Monsieur le Directeur le plus important du lot, l'arriviste à attaché-case, bien décidé à ne jamais quitter son supérieur de plus de cinquante centimètres, et des cheveux bien peignés, des raies régulières, des coiffures à la mode, de la brillantine au kilo, des joues rasées de près dans des salles de bain confortables, des blouses repassées, sans une tache, des bedaines de bureaucrates, des blocs-notes, des serviettes, des dossiers... Combien sont-ils ? Sept ou huit, mais ils font du bruit pour quinze, parlent fort, virevoltent dans l'atelier. Le contremaître Gravier a bondi hors de sa cage vitrée pour accueillir ("Bonjour, Monsieur le Directeur... blablabla... Oui, Monsieur le Directeur... comme l'a dit Monsieur le chef de service adjoint de... prévenu... les chiffres... ici... la liste... depuis ce matin... blablabla... Monsieur le Directeur") et Antoine le chef d'équipe court aussi se coller à la troupe, et même Danglois, le régleur du syndicat jaune, sorti d'on ne sait où, ramène sa blouse grise et son tas de graisse pour accompagner ces messieurs. Et tout ce beau monde va, vient, regarde, note, vous bouscule au passage, envoie chercher ceci, envoie chercher cela.
    Au milieu, leur chef, Monsieur le directeur de je ne sais plus quoi (mais très haut dans la hiérarchie Citroën, proche collaborateur de Bercot, s'il vous plaît), Bineau. Gros, l'air autoritaire, sanglé dans un complet trois pièces sombre, rosette à la boutonnière. Il a une tête de type qui lit le Figaro à l'arrière de sa DS noire étincelante, pendant que le chauffeur à casquette fait du slalom dans les embouteillages. Il mène la danse, Bineau. L'air pas commode avec ça : on n'aurait pas intérêt à essayer de lui raconter des histoires. Regard perçant, ton cassant, soyez précis, soyez bref, je comprends vite, mon temps c'est beaucoup d'argent, beaucoup plus que vous n'en verrez passer dans l'année. Un vrai meneur d'hommes. Mieux : un manager. L'œil fixé sur la courbe irrégulière du cash-flow.