Dans ce roman qui se situe pendant la guerre 39-45 dans un petit village au cœur des montagnes situées aux confins de l’Allemagne (ou de l’Autriche), Philippe Claudel prend le parti de ne rien dire. Jamais le nom de la guerre n’est cité, ni le nom du pays, ni les juifs, ni la période. Ce roman se lit comme un conte aussi triste que sa couverture mais on comprend très vite de quoi il en retourne.
Après la guerre, Brodeck qui a réussi à survivre au camp de concentration revient au village et le maire lui donne la mission d’écrire un rapport sur les causes ayant poussé une partie de la population à tuer un étranger qui s’était installé dans l’auberge de Schloss. Cet étranger, appelé l’Anderer qui avait débarqué dans le village après la guerre avec un cheval et un âne avait provoqué la surprise puisque personne ne venait s’installer ici et il eut le droit à une réception organisée par le maire. Mais l’Anderer n’était pas comme tout le monde, portait un drôle d'accoutrement et se fondait très peu à la population. Brodeck, le narrateur fait des aller retour entre le passé et le présent, évoquant la façon dont lui et un autre habitant du village furent livrés aux nazis par des habitants du village, le transport vers le camp et la honte qui le hantera toute sa vie : dans un wagon si chargé que l’on ne pouvait s’allonger, avoir volé une bouteille d’eau à une maman qui dormait avec son enfant. Et puis, on revient dans le présent, l’Anderer convoque le village à un vernissage dans l’auberge où les toiles qui ont l’air anodines en disent plus qu’il y parait. L'exposition part en cacahuète et les toiles sont détruites. L’Anderer devient le bouc émissaire, celui qui doit disparaître pour laver la honte que les habitants portent en eux.
Le rapport de Brodeck est plus qu’un énième roman sur la guerre et l’holocauste, c’est un roman sur la culpabilité et les atrocités dont sont capables les hommes les plus normaux, c’est un roman sur les effets de masse et la xénophobie.
On entend souvent que même dans les démocraties les plus apaisées, rien n’est jamais gagné et que les démons que tout homme porte en lui peuvent resurgir. C’est un peu la moralité de ce roman plus que jamais d’actualité, et en France notamment où même quand on manifeste pour une juste cause, on finit par commettre le pire.
lecture juin 2016, sur livre papier, 401 pages, éditions Stock parution : août 2007, note : 4/5
livre de Philippe Claudel déjà commenté : Meuse l'oubli
Loïc LT