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brucé bégout

  • CR191 : l'éblouissement des bords de route - Bruce Bégout

    9782843351778.jpgprésentation de l’éditeur : Histoires sans chute, amorces de récits, nouvelles tronquées, expériences vécues et inventées, impressions et réflexions, ce livre rassemble, tel un carnet de voyage métaphysique et charnel, quelques facettes de la route américaine : chambres de motel, stations-service, resto-routes, parkings, centres commerciaux, etc. C'est là, dans cette banlieue illimitée, dévastée par la misère culturelle et la barbarie marchande, que l'auteur traque le presque-rien de nos existences standardisées, non sans y découvrir encore des possibilités de rencontres inopportunes, d'errances libératrices, de réveils enchanteurs.
     
    mon avis : cela fait longtemps que je parle de Bruce Bégout sur ce blog fréquenté par quelques égarés de la toile. J’avais été séduit par son essai sur les motels ‘lieu commun. le motel américain” sans l’avoir lu entièrement. L’éblouissement des bords de route m’a ébloui. Ecrire sur le rien qui fait nos vies n’est-il pas le but ultime de la littérature ?
    A travers les 21 chapitres, Bruce Bégout donne à réfléchir sur ces zones péri-urbaines où les gens passent, s’arrêtent parfois, se garent, consomment, dorment ou s’adonnent à diverses activités banales dont se composent nos existences occidentales. Rien de fondamental ne semble s’y jouer, tout y est provisoire. Les gens se croisent sans se parler.
    Une nouvelle en particulier a retenu mon attention. Dans une région reculée de l’Utah, le narrateur a posé ses bagages dans l’une des chambres du motel 6 (on peut réserver en ligne). Le gérant lui raconte l’histoire d’un homme qui vit dans ce motel depuis 5 ans. Il travaille dans une scierie des environs, part le matin, rentre le soir. Il est réservé mais très poli. “iI paye sa chambre chaque fin de semaine”. Il ne reçoit aucune visite et n’a pas du tout personnalisé sa chambre. Il ne semble s’intéresser à rien et possède juste un livre écrit par un certain Thoreau (et wikipedia m’apprend que Henri David Thoreau est l’auteur d’un récit intitulé Walden ou la vie dans les bois, récit qui raconte l’histoire d’un type qui s’isole pendant deux ans dans une cabane perdue au fond d’une forêt).
    Et puis, j’ai également été très sensible à la plume de Bruce Bégout..très raffinée sans être pédante...il suffit de lire cette phrase qui résume à elle seule l’éblouissement dont est victime le narrateur :

    Quel plaisir, me dis-je sans remuer les lèvres, de se perdre dans la substance originelle et non individuée de la vie courante où tout possède une valeur égale et par là même nulle, et de coïncider avec le fond neutre et indifférencié du Commun.

    recueil  , paru en 2004

    éditions Verticales, 138 pages

    lecture du 21/11 au 27/11/ 2010

    note : 5/5

     

     

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  • Bruce Bégout dans le texte : microscopie du caddie

    caddie.jpg"S'il est, entre autres enseignements, une vérité que la sociologie urbaine nous a transmise, c'est que la ville ne se résume pas à ses limites géographiques. Où que nous allions, nous transportons dans nos bagages ses manières de vivre, de percevoir et de penser. Sans même sortir de son périmètre, la ville est devenue ubiquitaire.
    Le maniement d'une chariot de supermarché ne fait pas exception à cette règle. Là, se trouve concentrée toute notre expérience de la circulation urbaine. A bien considérer les choses, le Caddie constitue en effet l'exemple type de la construction automobile de la réalité, non pas seulement parce qu'il possède quatre roues et exige un certain sens de la conduite, mais surtout parce qu'il réalise la séparation du coffre de la voiture qui devient, par ce biais, ambulant. Comme l'automobile ne peut en toute logique pénétrer dans le bâtiment - tout du moins pour l'instant, puisque les supermarchés drive-in n'ont pas encore vu le jour -, elle se sépare d'elle-même puis se minituarise , car rien, jusqu'à l'intériorité, ne doit résister à sa puissance d'infiltration. A la sortie de l'hypermarché, le coffre avalera sans reste les diverses marchandises que le chariot avait précédemment englouties, confirmant sa paternité."

    Bruce Bégout (p67,68, l'éblouissement des bords de route)

  • errance urbaine, par Bruce Bégout

    381061802_1fba9ebd52.jpg"A cet égard, comme on peut l'observer dans les Motel chronicles de Sam Shepard (si traduites en français, à ajouter dans la PAL, ndb), la simple contemplation furtive d'une canette de Coca-Cola broyée ou d'un sac plastique éventré au fond d'un fossé crasseux intéresse plus directement l'homme errant que la traque urbaine du mystère et de l'imprévu. Son état mental est si peu propice au jeu de cache-cache avec le fortuit que seules les grossières évidences de la vie quotidienne contiennent à ses yeux une quelconque significavité. Il faut dire qu'il est déjà pour lui-même un non-sens fortuit. Aussi éprouve-t-il comme un soulagement toute connexion, même minimale, avec ce qui donne l'apparence de lui rappeler quelque chose de connu, fût-ce vulgaire et sordide. L'errant perpétuel est d'une certaine manière le témoin passif de ce qui ne le concerne pas. Dans ces conditions, plus aucune psychogéographie urbaine n'est possible, car, en vérité, la géographie comme le psychisme ont entièrement disparu de cette ville sans espace et sans âme, preuve négative contre Descartes que l'esprit est fonction de l'étendue. Dans ses excursions mécaniques le long des routes qui se greffent sur les autoroutes périphériques et où pullulent motels, stations-service, magasins d'usines, concessionnaires de voitures, hangars et restauroutes, le nomade ne se sent absolument pas l'âme d'un chercheur. Quêtes et traques, périples et filatures ne constituent pas ses passe-temps favoris. A dire vrai, il ne convoite absolument rien ni personne ; il ne se sent investi d'aucun message, d'aucune charge ; mais il s'attache simplement à entrer en contact avec ce peu de réalité qu'il espère ou devine juste derrière son pare-brise. Tant bien que mal, il s'efforce de retrouver son chemin, si chemin il y a. Tel Oedipe à Colonne, "possédant toutes les routes, il n'en possède aucune". Du reste, l'errant n'a plus affaire à la rue où la masse se concentre, mais à la route où la somme des individus se disperse. Dans cet espace urbain qui ne lui évoque rien, il vaque à son unique occupation : transiter."

    p92-93, lieu commun, le motel américain, éditions allia

     

  • une présentation du motel, par Bruce Bégout

    outside-the-motel.jpg" Le motel se présente comme un bâtiment simple, souvent de plain-pied, qui n'offre à sa clientèle passagère qu'un unique service : une chambre à coucher. De par sa forme ordinaire et ses matériaux rudimentaires, il ressemble à un entrepôt de marchandises, muni de fenêtres identiques et d'un hall d'entrée d'une simplicité spartiate, où une forte odeur de détergent insensibilise tout sens de l'hospitalité. Les chambres sont austères pour la plupart, pourvues de commodités essentielles (lits, douche, lavabo, télévision), proches d'une place de parking et reliées entre elles en un assemblage monotone. On s'y arrête pour passer une ou deux nuits au maximum, en marge de la ville, presque en marge de la vie, tant on n'accorde en général aucun intérêt affectif ou esthétique à ce séjour. Seul le prix modique nous y attire. Les facilités de paiement, l'accès immédiat, la simplicité des services, une place de parking garantie, comptent également pour beaucoup dans notre choix. La logique du peu régit de part en part notre usage du motel. Pour l'homme urbain, cette modicité du séjour n'est pas qu'économique ; elle n'épargne pas seulement son portefeuille, mais aussi ses nerfs. Favorisant une forme d'abattement tranquille, le motel entraîne en effet chez ses visiteurs une manière d'économiser gestes et paroles, de se laisser envahir par l'anesthésiante simplicité du Banal.
    L'atonie générale du bâtiment prêt-à-dormir se retrouve dans les façons frustes d'occuper l'espace : les formalités administratives qui accompagnent habituellement l'installation dans un hôtel sont ici réduites à leur plus simple expression. Il suffit de donner son nom ou plus simplement encore le numéro d'immatriculation de son véhicule, et, quelques secondes après, on peut se diriger vers sa chambre. De la même manière, tous les codes de sociabilité plus ou moins tacites qui organisent les relations au sein des bâtiments publics sont ici limités à quelques mots d'usage, au geste rudimentaire de prendre et de rendre sa clef. La codification minimale des lieux déteint sur le comportement humain. L'échange entre les clients se réduit à une entente mutuelle très pauvre qui consiste généralement dans la volonté de ne pas empiéter sur le domaine de l'autre, de ne pas lui faire d'ombre ni de lumière, cet autre présent et absent, devenu presque mystérieux par sa discrétion, que l'on devine furtivement au bout d'un couloir, en train de pénétrer dans sa chambre, ou toussant derrière les cloisons, mais que l'organisation spatiale du motel nous empêche absolument de rencontrer. Même si les voyageurs ou le gérant voulaient nouer une relation plus profonde, la structure des lieux les en dissuaderait. Dans un motel, tout est fait pour couper court à chaque tentative de constituer des "lignes de sympathie", des transitions douces d'une humeur à une autre, d'une parole à un geste. La disjonction règne en maître et renvoie chacun à sa propre existence privée sans porte ni fenêtre."

     

    p16 de "lieu commun" paru aux éditions allia. Ce que j'aime chez Bruce Bégout, c'est cette capacité à tout conceptualiser, même ce qui semble dénué de sens. Savoir tourner ses phrases, trouver les mots pour dire le quotidien, la banalité..poue enfin de compte parvenir à enchanter le désanchantement..

  • passages choisis : les motels vues par Bruce Bégout

    5e955b642ca63ebe544213fa2022c6ec.jpgLes motels, tels qu'on les voit dans les séries ou films us n'existent pas vraiment en France ni en Europe. On a des choses ressemblantes comme les formule 1 mais ce n'est pas tout à fait pareil. Bruce Bégout a eu la bonne idée d'écrire un essai sur ce sujet. Le livre est sorti aux éditions Allia, dont il faudrait parler tant elle fourmille de petits livres pas chers sur des thèmes rares et peu porteurs. Je ne fais que parcourir ce livre mais j'avoue que c'est une forme de littérature que j'aime beaucoup car il s'agit de décrire ce que Raymond Queneau appelait des espèces d'espaces, des espaces neutres et sans intérêt.

    page 16, Bruce Bégout décrit précisément ce qu'est un motel :

     

    Le motel se présente comme un bâtiment simple, souvent de plain-pied, qui n'offre à sa clientèle passagère qu'un unique service : une chambre à coucher. De par sa forme ordinaire et ses matériaux rudimentaires, il ressemble à un entrepôt de marchandises, muni de fenêtres identiques et d'un hall d'entrée d'une simplicité spartiate, où une forte odeur de détergent insensibilise tout sens de l'hospitalité. Les chambres sont austères pour la plupart, pourvues de commodités essentielles (lits, douche, lavabo, télévision), proches d'une place de parking et reliées entre elles en un assemblage monotone. On s'y arrête pour passer une ou deux nuits au maximum, en marge de la ville, presque en marge de la vie, tant on n'accorde en général aucun intérêt affectif ou esthétique à ce séjour. Seul le prix modique nous y attire. Les facilités de paiement, l'accès immédiat, la simplicité des services, une place de parking garantie, comptent également pour beaucoup dans notre choix. La logique du peu régit de part en part notre usage du motel. Pour l'homme urbain, cette modicité du séjour n'est pas qu'économique ; elle n'épargne pas seulement son portefeuille, mais aussi ses nerfs. Favorisant une forme d'abattement tranquille, le motel entraîne en effet chez ses visiteurs une manière d'économiser gestes et paroles, de se laisser envahir par l'anesthésiante simplicité du Banal.

    0078318f60c79e2cae59878d0ca3cef8.jpgL'atonie générale du bâtiment prêt-à-dormir se retrouve dans les façons frustes d'occuper l'espace : les formalités administratives qui accompagnent habituellement l'installation dans un hôtel sont ici réduites à leur plus simple expression. Il suffit de donner son nom ou plus simplement encore le numéro d'immatriculation se son véhicule, et, quelques secondes après, on peut se diriger vers sa chambre. De la même manière, tous les codes de sociabilité plus ou moins tacites qui organisent les relations au sein des bâtiments publics sont ici limités à quelques mots d'usage, au geste rudimentaire de prendre et de rendre sa clef. La codification minimale des lieux déteint sur le comportement humain. L'échange entre les clients se réduit à une entente mutuelle très pauvre qui consiste généralement dans la volonté de ne pas empiéter sur le domaine de l'autre, de ne pas lui faire d'ombre ni de lumière, cet autre présent et absent, devenu presque mystérieux par sa discrétion, que l'on devine furtivement au bout d'un couloir, en train de pénétrer dans sa chambre, ou toussant derrière les cloisons, mais que l'organisation spatiale du motel nous empêche absolument de rencontrer. Même si les voyageurs ou le gérant voulaient nouer une relation plus profonde, la structure des lieux les en dissuaderait. Dans un motel, tout est fait pour couper court à chaque tentative de constituer des "lignes de sympathie", des transistions douces d'une humeur à une autre, d'une parole à un geste. La disjonction règne en maître et renvoie chacun à sa propre existence privée sans porte ni fenêtre.