C'est lorsque j'ai appris que l'intrigue de ce roman se situait à Kaliningrad, enclave russe improbable située entre la Pologne et la Lituanie que je me suis dit que qu'il fallait que je le lise. Pour le reste, je n'en connaissais ni l'auteur ni le thème. Une bonne critique dans Télérama m'a fait franchir le dernier pas. Et il m'a fallu 15 jours pour lire ce pavé de 500 pages paru chez Gallimard dans la collection l'Infini.
Le roman débute par l'arrivée du narrateur, Tibor Schwarz, à Kaliningrad en sa qualité d'interprète-traducteur français-hongrois et ce, à l'occasion d'un congrès européen qui doit décider d'on ne sait trop quoi mais qui a l'air d'être important quand même. Il trouve son hôtel, et quelques vieilles connaissances dans le métier. Tout semble partir sur des bases rationnelles. Et puis petit à petit et surtout à partir du soir où il demande son chemin à trois individus traversant un pont, le roman bascule dans une sorte de rêve où les êtres humains sont des spectres et les situations totalement ubuesques. Le congrès lui-même sombre dans le grotesque. Tout le monde se fout de tout. Kaliningrad, dépravé est un immense bordel (dans tous les sens du terme). Seuls quelques vieillards spectraux qui se réunissent dans un sous-sol le soir, se préoccupent du sort de Kaliningrad, qui fut par le passé prussienne sous le nom de Konigsberg. Sans trop comprendre pourquoi, Tibor Schwarz en devient le mentor et comme le congrès s'accorde sa pause estivale, son unique préoccupation devient la possession sexuelle de trois filles, donc chacune semble représenter une sensibilité géopolitique. Je dis bien "semble" parce qu'en fait je n'ai pas tout saisi.
Mais j'ai pris beaucoup de plaisir dans cette lecture et ce roman m'a rappelé Kundera et Kafka (dans le style pour l'un et les obsessions pour l'autre), et je ne dirais même pas en moins bien tant j'ai trouvé ça brillant, de par son ambition historique et philosophique. Le style est très fluide (cela vient-il du fait qu'Alain Fleischer n'écrit pas ses romans, mais les dicte ?). Il y a bien quelques longueurs, comme on dit (notamment, la scène de l'orgie sadomasochiste géante au congrès...qui n'en finit pas) mais Alain Fleischer maîtrise tellement bien son sujet qu'on trouve tout naturel lorsque dans les 30 dernières pages, alors qu'il pénètre sans fin et plus ou moins alternativement les trois héroïnes du roman, il arrive à nous faire un parallèle entre la chose et le devenir politique de la Vieille Europe, qui ne jouerait à Kaliningrad que de bien drôles de prolongations.
note : 4/5
lecture du 31.10 au 15.11
à venir : le complot contre l'Amérique, Philip Roth