Charles Baudelaire occupe une place à part dans mon coeur parce que c'est le poète grâce auquel je suis entré en poésie. J'étais au lycée en seconde et comme souvent à cet âge-là , j'étais un peu con, voire très con, rebelle, antisocial, vêtu de noir et donc, je me retrouvais beaucoup dans les fleurs du mal. Je trouvais qu'il parvenait à mettre des mots sur des idées noires et me récitais par coeur des poèmes comme l'ennemi ou une charogne. (et puis surtout je laissais volontairement le recueil dépaser de ma poche pour que mes camarades et profs puissent voir que je lisais du Baudelaire...) Et puis avec les années, je suis devenu rieur et optimiste et alors Baudelaire m'est sorti par les trous de nez. Aujourd'hui, non seulement, je ne me retrouve plus dans ses vers mais en plus je trouve tout cela convenu et classique. Je ne vais pas vous dire qu'avec un bon dictionnaire de synonyme, on peut arriver à faire quelque chose d'approchant mais bon,y'a de ça. (par contre faire du Grand Corps Malade est à la portée de n'importe quel abruti).
Aujourd'hui, les gens de lettres ou les philosophes se proclament facilement de Rimbaud, Mallarmé ou Aragon mais rarement de Baudelaire. Par contre, à une personne désireuse de connaître les règles prosodiques ou qui voudrait se mettre au sonnet, on conseillera du lire du Baudelaire. Ce type avait l'obsession du vers bien construit et pour lui la poésie ne pouvait se faire sans respecter des règles ancestrales. ça peut sembler être contradictoire avec l'idée qu'on se fait d'un Baudelaire 'Moderne' et précurseur du symbolisme. ça l'est. Sur le fond aussi, il cultivait l'ambiguïté . Exemple : sa hantise de l'automne et de l'hiver alors qu'on aurait pu penser que ces périodes siéraient mieux à un mec vivant une sorte de dépression permanente. Mon idée est que là encore, il était trop imprégné de classicisme et suivant la trace des romantiques, il s'est senti obligé de condamner ces saisons où la nature décline et s'endort.
Bon, maintenant que j'ai bien cassé le bonhomme, il me faut admettre que quelques poèmes échappent à cette ambiance morose. Non seulement, ils échappent mais ils sont aussi des hymnes à la beauté, à la nature et à la vie. Je pense au 'voyage' (pour l'enfant amoureux de cartes et d'estampes...) mais surtout aux correspondances, sonnet où le poète tente de déchiffrer des analogies entre l'homme et la nature. Ce poème a un sens profond mais est également de toute beauté. J'aurais pourtant une raison de le détester attendu que je l'ai étudié en classe de première de fond en comble, par tous ses bords et ses rebords.
Mais globalement quand même, je trouve que Baudelaire est largement surestimé. (Par les gens de lettres et par l'éducation nationale).
Voici les correspondances :
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.
Commentaires
A chaque moment son poète...Moi je trouve que Baudelaire est un rockeur de la bonne espèce, s'il chantait il triturerait les paroles et les gutturaliserait comme Nick Cave...Baudelaire c'est la haine et non l'ennui, c'est la beauté qui sauve, c'est un écrin rempli de lourds bijoux qu'on fait glisser entre ses doigts...C'est la beauté dans des petites choses dérisoires, comme dans mon préféré des fleurs du mal, A une mendiante rousse:
Blanche fille aux cheveux roux,
Dont la robe par ses trous
Laisse voir la pauvreté
Et la beauté,
Pour moi, poète chétif,
Ton jeune corps maladif,
Plein de taches de rousseur,
A sa douceur.
Tu portes plus galamment
Qu'une reine de roman
Ses cothurnes de velours
Tes sabots lourds.
etc...
Et puis c'est sûr que c'est un peu classique, mais avec cette nonchalance qui résonne en trouvaille, imagée, complète :
Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse,
Un autel souterrain au fond de ma détresse,
Et creuser dans le coin le plus noir de mon coeur,
Loin du désir mondain et du regard moqueur,
Une niche, d'azur et d'or tout émaillée,
Où tu te dresseras, Statue émerveillée.
Avec mes Vers polis, treillis d'un pur métal
Savamment constellé de rimes de cristal
Je ferai pour ta tête une énorme Couronne;
Et dans ma Jalousie, ô mortelle Madone
Je saurai te tailler un Manteau, de façon
Barbare, roide et lourd, et doublé de soupçon,
Qui, comme une guérite, enfermera tes charmes,
Non de Perles brodé, mais de toutes mes Larmes!
Ta Robe, ce sera mon Désir, frémissant,
Onduleux, mon Désir qui monte et qui descend,
Aux pointes se balance, aux vallons se repose,
Et revêt d'un baiser tout ton corps blanc et rose.
Je te ferai de mon Respect de beaux Souliers
De satin, par tes pieds divins humiliés,
Qui, les emprisonnant dans une molle étreinte
Comme un moule fidèle en garderont l'empreinte.
Et enfin les deux vers parfaits:
Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne,
Ô vase de tristesse, ô grande taciturne...
Parmi les vers qui me reviennent sans cesse, comme ça, sans crier gare, il y a ceux-ci aussi
" Je suis bel, ô mortel, comme un rêve de pierre
et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière".
Baudelaire était friand de formule comme "ainsi que" signifiant "comme", aujourd'hui désuètes. Comme ça, c'est facile à dire mais à la place de Baudelaire, j'aurais écrit
"Eternel et muet tout comme la matière"..
J'ai lu votre billet avec un petit pincement de coeur, mais avec beaucoup d'intérêt, car il est argumenté et nuancé.
Je suis un passionné de Baudelaire (sa poésie, pas sa prose). J'emporte mon Pléiade du cher Charles à chaque grand voyage, je le lis parfois à voix presque haute pour mieux entendre sa musique.
Mais à quinze ans je n'aimais pas Baudelaire, je le trouvais bidon, il se donnait des airs. Et sa biographie m'a toujours été insupportable, avec ses velléités et ses pleurnicheries.
Votre billet m'a donc rassuré : il est permis de ne pas l'aimer. Il me paraît bon qu'un poète puisse déplaire, c'est qu'il exprime avec force des idées personnelles. Un poète doit déranger.
oui, nuancé..parce qu'en fait, ça dépend des jours. Et les jours où je me dis que sa poésie ne me plait pas ou plus, je me dis qu'elle ne pourra plus jamais me plaire. Or le lendemain, je peux avoir un sentiment totalement opposé au point de regretter par exemple d'avoir écrit cette note.
C'est fou comme je peux être inconstant avec les poètes.
Je ne suis pas une grande fan de poésie, je dirais même que je déteste la poésie... ça me rappelle ma scolarité, les poèmes à apprendre par coeur et à décortiquer dans tous les sens. Pour moi la poésie ne rime donc pas avec plaisir de lire. Et pourtant.
Beaudelaire fait exception à la règle. Je l'ai découvert comme beaucoup au lycée où il faisait partie du programme du bac. J'ai tout de suite adoré ses poèmes et les thèmes qu'il abordait.
Aujourd'hui, il m'arrive de me replonger dans les Fleurs du Mal pour le plaisir.
S'il y a un poème de Beaudelaire que j'aime par dessus tout, c'est "L'horloge" :
"... Souviens toi que le temps est un joueur avide qui gagne sans tricher, à tout coup, c'est la loi".
A mon sens, l'éducation nationale ne rend pas service à la poésie. L'approche est trop scolaire alors qu'il faudrait quelque chose de totalement libéré et de plus passionnel. La poésie, c'est tout sauf de la récitation par coeur et des études de texte codifiés.
Merci pour votre passage chez moi (et bienvenue). Baudelaire reste toujours un favori chez les ados et "le libéré et le passionnel" peuvent exister, tout dépend du cours dans lequel il est abordé. Inconstance? Je ne crois pas, il faut aussi parfois brûler ce qu'on a aimé pour aller plus loin... (ce qui n'empêche pas de le retrouver ensuite et différemment - nous sommes si complexes).