Je stipulais dans une précédente note que je n'avais pas ressenti les mêmes émotions lors de cette deuxième lecture que lors de la première il y a à peu près 25 ans. Car il y a quelque chose dans Le Grand Meaulnes qui ne parle qu'aux adolescents et pour l'adulte qui s'y plonge, le but ne peut être que se rappeler l'adolescent qu'il fut.
Ceci dit, même lu adulte, le roman reste troublant. A ce point troublant qu'une semaine après l'avoir terminé, je m'y suis replongé toute la soirée, butinant ici ou là et m'arrêtant plus précisément sur la fête étrange dans ce 'domaine mystérieux' quelque part dans la campagne solognote lors de laquelle des enfants parés d'effets seyants dansent pendant que des adultes festoient et ripaillent en attendant un couple de mariés qui n'arrivera jamais. S'imagine-t-on un château à moitié délabré dans lequel la fête s'organise jusque dans les moindres recoins ?
Dans les couloirs s’organisaient des rondes et des farandoles. Une musique, quelque part, jouait un pas de menuet… Meaulnes, la tête à demi cachée dans le collet de son manteau, comme dans une fraise, se sentait un autre personnage. Lui aussi, gagné par le plaisir, se mit à poursuivre le grand pierrot à travers les couloirs du domaine, comme dans les coulisses d’un théâtre où la pantomime, de la scène, se fût partout répandue. Il se trouva ainsi mêlé jusqu’à la fin de la nuit à une foule joyeuse aux costumes extravagants. Parfois il ouvrait une porte, et se trouvait dans une chambre où l’on montrait la lanterne magique. Des enfants applaudissaient à grand bruit… Parfois, dans un coin de salon où l’on dansait, il engageait conversation avec quelque dandy et se renseignait hâtivement sur les costumes que l’on porterait les jours suivants…
Augustin Meaulnes qui a débarqué dans cette fête tout à fait par hasard (après s'être perdu dans la campagne lors d'une fugue) fait la connaissance d'Yvonne De Gallais, la soeur de Frantz, le maître des lieux qui devait se marier (et qui reviendra seul avant de repartir comme une ombre). Alors la fête s'interrompt, s'estompe même pourrait-on dire tant elle semble être sortie d'un rêve. Le Grand Meaulnes rentre à Sainte Agathe où il retrouvera son ami François (le narrateur) et le Cours Supérieur. La suite de son existence ne sera qu'une quête, qu'une enquête...qu'était cette fête ? Où se situe le domaine mystérieux ? Qu'est devenu Yvonne de Gallais ? Le roman se déroule, les années passent mais les échos de la fête continuent de résonner. Et là, je ne peux m'empêcher de citer Daniel Leuwers qui préface l'édition de poche :
Le merveilleux de ce roman réside dans un secret mouvement de balancier où le temps courtise son abolition, tandis que s'élève la rumeur d'une fête étrange dont la hantise se fait d'autant plus forte que l'existence s'en éloigne irrévocablement.
Tout est dit.
lecture : octobre 2012, le livre de poche, note : 4/5
Mon grand-père m'offrit pour mes dix ans plusieurs volumes de livres de la bibliothèque verte. C'était nouveau pour moi qu'on m'offre de tels livres. Je me souviens qu'il les avait emballés sommairement dans du papier journal. Je me souviens aussi que je m'étais fait tout un film à propos de l'achat. Je pensais que mon grand-père les avait achetés dans une petite librairie de Persquen (bourg improbable de 200 âmes où il habitait) et que dans cette bibliothèque, il n'y avait que livres de la bibliothèque verte. Des étagères pleines à craquer, des livres posés par terre. Partout ce n'était que livres verts et le libraire qu'on distinguait à peine tant les livres croulaient sur le comptoir, portait une belle et désuette moustache. Mon grand-père un peu perdu lui demanda ce qui pouvait plaire à un enfant de dix ans (et comme de fait je me souviens clairement qu'il fit part à mon père de sa diffficulté de choisir et qu'il dût demander conseil). La librairie n'était pas très bien éclairée. Autres détails importants : Avant d'en ouvrir la porte, il fallait monter trois marches et un lampadaire à trois têtes illuminait son entrée.