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agriculture

  • CR282 : Joseph - Marie-Hélène Lafon

     

    téléchargement (1).jpgMarie-Hélène Lafon est l'une des rares auteurs contemporaines qui s'attache à décrire le monde rural (voir mon compte rendu de l'un de ses précédents romans), si on enlève, sauf le respect tous les romans du terroir qui touche un public ciblé pas spécialement épris de littérature et cela fait du bien de sortir de Paris, des affres de la classe moyenne supérieure, des manigances des gens qui n'ont pas de problème d'argent et qui ne connaissent de la campagne que ce que les spots de pub donnent à  voir.  Je n'ai rien contre cette littérature boboïsante ou autofictive (Régis Jauffret, Emmanuel Carrère, Eric Reinhardt, Philippe Djian...) mais un moment, il faut aussi se dire que 90% du territoire national est rural (et que cette ruralité est diverse) et qu'il mérite qu'on l'écrive et avec style si possible (ce que fait MH Lafon)

    L'auteur raconte l'histoire d'un garçon de ferme, le genre de profession qui n'existe quasiment plus aujourd'hui (mais qui est peut-être appelé à renaître sous une autre forme du fait de l'agrandissement des exploitations). Joseph est à l'aube de ses 60 ans et se souvient de toutes les fermes où il a travaillé, des bons et des mauvais patrons, les bons et les mauvais moments. Joseph ne s'intéresse à rien d'autre qu'à l'élevage ; on n'a aucun reproche à lui faire sur ce point. Toute sa vie est contenue dans une valise qu'il traîne de ferme en ferme et dans laquelle entre autres, il amasse un petit pécule en prévision de ses obsèques car il a entendu dire que ça coûtait cher. Il ne voit plus beaucoup sa famille (son frère jumeau est restaurateur à Paris). Il n'a connu qu'une fille pendant quelques années et elle s'est barrée. Rien d'autres. Le travail à la ferme, les tristes veillées, et comme seul intérêt télévisuel, le patin artistique (étonnant d'ailleurs). 

    Mais la vie de Joseph n'est pas si tristement lisse qu'il n'y parait parce qu'alcoolique, sa vie de fermier modèle fut entrecoupée de cures dont il sortait frais comme un gardon avant de rechuter des mois ou des années plus tard. Comme dans ces campagnes reculées, on ne respecte pas la loi à la lettre, les flics avaient pour les conducteurs pris en flagrant délit des sortes de salles de dégrisement appelées les bleues, après quoi ils pouvaient repartir sans retrait de permis :

    Les gendarmes le lui disaient assez, tu devrais prévoir de finir par Ségur tu serais plus commode pour la bleue. Il se remplissait de vin ; l'été il cuvait dans la voiture qui lui servait de maison. Il dormait assis au volant, raide et la bouche ouverte, avec la ceinture de sécurité et la radio, les phares ou les codes allumés, les gens le connaissaient, dans chaque bourg il avait ses places pour se garer et le cantonnier ou quelqu'un d'autre, en passant, tournait la clef de contact pour que la batterie ne se décharge pas complètement. La voiture était la Peugeot du père qui tenait encore le coup ; après ses cuites Joseph nettoyait, surtout pour les odeurs. Il était très maigre, ses mains tremblaient, il n'envisageait pas les gens ; et quand on réussissait à attraper son regard qui vous traversait sans vous voir, on ne soutenait pas longtemps ce vertige. 

    Le portrait de Joseph est aussi l'occasion pour l'auteur de nous décrire cette France inconnue, composée de petites fermes en train de disparaître. Mais elles existent encore dans des coins reculés (mais plus beaucoup en Bretagne). Dommage que le roman soit si court, il y avait tant de choses à dire sur le sujet. Moi, mon arrière-grand-mère était verratière et quand j'en ai parlé l'autre jour lors d'un repas de famille, tout le monde voulait en savoir plus, comme quoi, les questions sur la ruralité restent dans le subconscient des gens dont la plupart sont enfants ou petits-enfants de paysans. 

    Je sens MH Lafon tout à fait à même de nous écrire un livre sur le quotidien des exploitations intensives, car bien que l'on nous parle beaucoup de 'l'essor' du bio (qui est une bonne chose), c'est l'agriculture intensive qui nourrit les français et qui participe grandement à ses exportations. Je m'éloigne du sujet mais je peux vous dire que le bio représente bien peu de choses à côté de l'agrandissement des exploitations agricoles qui deviennent de véritables sociétés qui pour certaines traitent directement sur les marchés internationaux (et leurs travers : les produits dérivés). Mais Joseph, s'il est encore en vie,  est bien loin de ces considérations...

    parution : Buchet Chastel, août 2014, 144 pages, lecture sur kindle en mai 2015. note : 4.5/5

    Loïc LT

     

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