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julie schittly - Page 4

  • CR266 : le Royaume - Emmanuel Carrère

    le royaume.jpgCette fin d'après-midi fut ordinaire. Je suis rentré tranquillement du boulot et la radio m’a informé du niveau du CAC 40 et de la météo du lendemain. Avant de rentrer à la maison, je me suis décidé à faire un détour par un magasin de bricolage et j’en suis sorti un peu groggy je dois dire car aussi sympathiques les vendeurs étaient-ils, j’avais l’impression qu’ils me parlaient une langue étrangère. Pourtant, je leur demandais des choses très simples...mais trop simples sans doute. Il aurait fallu qu’ils me répondent comme s’ils s’adressaient à un enfant. Il était question de visserie et une dialogue de sourds s'est instauré. Alors, je suis reparti et  la radio m’a informé de quelques faits divers et de guerres lointaines.

    Quand je suis arrivé , j’ai tout de suite été saisi par l’instant. Il ne faisait ni chaud ni froid, ni rien, le silence était d’or et la lumière apaisante. Au lieu de rentrer dans la maison, je me suis assis sur la table au fond du jardin, j'ai pensé à Julie et je n’ai rien fait d’autres que profiter de l’instant. Puis une de mes filles est venue à ma rencontre et je m’en veux encore ce soir de lui avoir clairement fait comprendre qu’elle m’embêtait avec ses anecdotes d’école. Parfois, je n’arrive pas à avoir la patience d’écouter certaines choses. Elle est repartie sans rancune courir par monts et par vaux. Je me suis saisi de ma liseuse  et j’ai terminé une lecture. C’est toujours un moment à part lorsqu’on termine un gros livre qui nous a accompagné des jours durant.

    J’ai expliqué l’autre jour dans quel état d’esprit j’ai décidé de lire Le Royaume d’Emmanuel Carrère. Je ne vais donc pas y revenir. Ce qu’il faut par contre que je fasse, c’est d’enlever de mon esprit tout ce que j’ai pu entendre à son propos.

    Le livre comprend deux parties. Dans la première, l’auteur explique comment après avoir été brièvement croyant, il redevint athée et dans la seconde il mène une enquête approfondie sur les premières années du christianisme. Avec sa sensibilité à fleur de peau et lourd d’un bagage spirituel singulier, il tente avec  objectivité de raconter comment après le passage sur Terre d’un homme nommé Jésus, quelques-uns de ses amis marqués par le personnage ont réussi bon an mal an et contre vents et marées à transformer ce qui au départ s’apparentait à une secte en un mouvement religieux de premier ordre. Il est évidemment beaucoup question de ces écrits que les catholiques appellent ‘évangiles’ et qui sont quatre récits indépendants (mais pas tant que ça) racontant la vie et le message du mentor. L’auteur s’arrête particulièrement sur celui de Luc, figure attachante n’ayant pas connu Jésus mais qui fut un compagnon de Paul (n’ayant pas côtoyé Jésus non plus),  ce fameux Paul, moche, malade et mal coiffé et  dont tous ceux qui ont fait de la catéchèse doivent se rappeler du pétage de plomb dont il fut victime sur ‘le chemin de Damas’. L’Eglise doit beaucoup à ce fou parce qu’après l’affaire de Damas, il parcourut des pays entiers (bordant la Méditerranée) et réussit à convertir de nombreuses communautés...pendant qu’à Jérusalem, sous l’égide de Pierre et de Jacques (le frère de Jésus) se montait laborieusement les prémices de ce qui allait devenir l’Eglise catholique.

    L’auteur s’attache par ailleurs à contextualiser le récit. A savoir qu’au premier siècle, l’empire romain est à son apogée et les autorités tolèrent une certaine liberté religieuse tant qu’elle ne met pas en péril son intégrité. Pourtant, Ponce Pilate, le préfet de Judée, poussé par les juifs, fit crucifier ce dénommé Jésus qui s’autoproclama ‘roi des juifs’. Et comme l’écrit l’auteur, l’Eglise doit tout à ce préfet car s’il n’avait pas décidé de condamner Jésus, ce dernier ‘aurait continué à prêcher, serait mort très vieux, entouré d’une grande réputation de sagesse et à la génération suivante, tout le monde l’aurait oublié’.

    Globalement, pour faire simple, je dirais que Emmanuel Carrère tente de démêler le vrai du faux en opérant des recoupements entre des écrits historiques, les évangiles et tout ce qu’on a pu garder de ces temps lointains. Ernest Renan avait fait la même chose mais en s’arrêtant à la vie de Jésus alors que Carrère se concentre sur le siècle après sa ‘mort’...je ne sais pas pourquoi je mets ‘mort’ entre guillemets puisque c’est entendu, Jésus est mort sur la croix (ou autrement mais qu’importe) et l'auteur fait part de son étonnement quand il réalise qu'en 2014, la Terre compte près de 3 milliards de chrétiens parce qu’il y a 2000 ans, des plaisantins ont cru bon de sortir le défunt de son caveau pour faire croire à sa résurrection. Tout le reste n’est que légendes. Carrère n’est pas si péremptoire mais c’est à peu près le fond de sa pensée.

    Le Royaume à défaut d'être un roman ni un joyau littéraire est avant tout une enquête spirituelle et historique menée par un humaniste  ayant résolu de revenir sur une période de sa vie et si possible de la refermer. Et pour beaucoup d’entre nous, croyants ou pas, c’est comme on dit, une belle piqûre de rappel.

    Loïc LT

    rentrée littéraire 2014, lecture : septembre/octobre 2014, kindle, 4/5

  • CR265 : on ne voyait que le bonheur - Grégoire Delacourt

    delacourt.08c70161538.w400.jpgOn ne voyait que le bonheur est le titre idéal pour ce roman. On ne voit que le bonheur...de nos voisins, de nos amis membres de cette fameuse classe moyenne on ne voit qu’une face, la plus reluisante, la plus lisse, tout semble aller pour le mieux chez eux alors que chez nous, il y a plein de failles, des gouffres parfois. Comment ils font les autres pour vivre dans le bonheur perpétuel ?

    Mais évidemment, on n’est pas dupe. Tout n’est qu’apparence. Une pelouse bien tondue, deux bons boulots et des enfants beaux et studieux ne sont que la partie immergée de l’iceberg. Je ne sais plus qui disait que toutes les familles sont des asiles de fous, la folie quotidienne, c’est au cœur des familles qu’elle s’épanouit mais c'est là qu’elle est aussi la moins visible des autres parce qu’en circuit fermé, parce que le secret de familles est le mieux gardé. C’est un peu ma conclusion de ce roman d’un auteur que je ne connaissais pas. Le narrateur évoque son enfance. Son père est un chimiste séduisant  qui travaille dans une droguerie où il peut préparer sur demande des mixtures répondant aux besoins de ses clientes. Il ne vend pas de poudre ni de munitions.  Je ne sais plus ce que fait la mère. Deux jumelles arrivent, Anna et Anne mais Anna (ou est-ce Anne)  meurt dans son sommeil (c’est ce qu’on croit dans un premier temps). Et tout se délite dans cette famille normale. La mère s’en va et finit son existence dans la misère. La jumelle rescapée encore sous le choc de la perte de sa sœur n’arrive plus à prononcer qu’un mot sur deux. C’est compliqué. On est pudique dans cette famille, on ne parle pas des choses essentielles.

    Et puis Antoine le narrateur évoque ensuite sa famille à lui, celle qu’il a construite avec Nathalie, une jolie rencontrée dans un magasin. Il  est expert en assurance et son but est d’être salaud et de mauvaise foi envers les assurés pour que la compagnie débourse un minimum. Un jour, par pitié pour une assurée enceinte, il décide d’accepter de bien la rembourser en établissant une fausse expertise. Il se fait virer. Nathalie le trompe et elle se barre puis revient. Ils font un deuxième enfant. Mais ça ne tourne pas rond : Antoine a peur que le mal-être soit génétique et dans un accès de folie tente d’assassiner sa fille aînée afin de lui épargner un même type d'existence...mais il la rate et elle a le visage défiguré.

    Voilà à peu près l’histoire. T'as compris Julie ? C’est écrit très simplement, les phrases sont courtes mais percutantes. Je trouve que l’ensemble se tient mais c’est le type même de roman qu’on oublie vite...pas assez long, pas assez approfondi. Il est sélectionné pour le Goncourt mais il ne l’obtiendra pas du fait de son manque d’ambition

    Mais le sujet des familles comme autant d’asiles de fous m’interpelle et correspond à ma pensée. C’est bien sûr romancé et exagéré ici mais les fondamentaux sont là. On ne voit que le bonheur. Parfois je me demande même si le bonheur ne se cache pas derrière ceux dont on ne voit que la misère.

    rentrée littéraire 2014. lecture : septembre 2014. kindle. 3/5

    Loïc LT

     

  • CR264 : l'amour et les forêts - Eric Reinhardt

    l'amour et les forêts.jpgA peu peu près tous les trois ans, Eric Reinhardt  sort un nouveau roman avec toujours la même ambition : épuiser un sujet (ou une histoire plutôt car il ne traite jamais qu'un sujet) grâce à une écriture ample et fluide. L'amour et les forêts ne déroge pas à la règle. On y retrouve ce style unique, cette fougue, ce torrent dans lequel on s'engouffre sans pouvoir se défaire. Pour ce dernier, l'écrivain revient sur Cendrillon, son meilleur roman (qu'il craint ne jamais pouvoir égaler). Il reçoit une lettre remarquable d'une lectrice, Bénédicte Ombredanne qui lui explique en quoi Cendrillon a changé sa vie. Ils décident de se rencontrer à Paris, au café de Nemours ou ER a ses habitudes. Il ne sait pas encore que cette rencontre va bouleverser sa vie. 

    Julie se confie à Eric. Prof de collège (ou de lycée je ne sais plus), mariée à Jean-François, un employé de banque psychorigide, elle a deux enfants et vit dans l'est de la France. Elle s'ennuie, a soif d'idéal et décide suite à une sorte de bizarroïde pétage de plomb de son mari de s'inscrire sur Meetic où elle fait la connaissance de Christian chez qui elle  va passer une après-midi poético-sensuelle inoubliable. Quand elle rentre chez elle, c'est le début de la fin. Son mari la soupçonne de tromperie (ce qu'elle nie) et se fait de plus en plus oppressant. Elle devient dépressive et fait un séjour en hôpital psychiatrique. Et l'écrivain qui n'a plus de nouvelles d'elle depuis plusieurs mois n'est pas au bout de ses surprises. 

    ER qui nous avait habitué à étudier les gens par le prisme de l'analyse socio-économique (Cendrillon, le système Victoria) oriente avec l'amour et les forêts sa plume vers l'intimité et les rapports familiaux. Comme on pouvait s'y attendre, il s'en sort à merveille. On ne sort pas indemne de ce récit mené tambour battant. Une nouvelle fois, il utilise son arme favorite : les longs monologues dans lesquels se lancent les protagonistes à la façon du narrateur dans extinction de Thomas Bernhard (la référence qui tue et que personne ne va aller vérifier -) . Mais ces derniers ont le défaut de leur qualité : comment est-il concevable  que des discours portés par des personnes différentes (Jean-François, Marie-Claire) se ressemblent à ce point stylistiquement parlant et surtout s'avèrent être à chaque fois des monuments littéraires ? Mais que l'écrivain se rassure (et qui s'en fout surtout), le même reproche peut être fait à Choderlos De Laclos et à d'autres. Par ailleurs, soyons exigeants avec ceux qu'on aime, la fameuse après-midi avec Christian est dégoulinante de mièvrerie et Jean-François est trop peu complexe pour être crédible. 

    N'ayant pas lu d'interview de l'auteur au sujet de ce roman (qui sorti chez Gallimard bénéficie d'une grosse publicité), je ne suis pas en mesure de dire si cette histoire est vraie ou non...ce qui ne change rien à sa force ainsi qu'à celle de son analyse. 

    lecture : août 2014, kindle, 4/5.