J’ai d’abord relu L'Étranger mais je ne sais pas si c’était indispensable car on peut comprendre et apprécier cette contre-enquête sans avoir lu le roman de Camus. L’auteur revient en effet assez longuement sur Meursault, sa personnalité et le meurtre. Cela m’amuse d’ailleurs de penser que la lecture de Meursault contre-enquête donnera à certains l’envie de lire L'Étranger pour la première fois alors que c’est l’inverse qui semble le plus logique.
De donner une suite à un des romans les plus connus au monde paraît prétentieux et puis on se dit qu’avec une telle idée l’auteur savait qu’il allait forcément attirer un minimum de lecteurs, plus en tout cas que s’il avait décidé de mener la contre-enquête d’un meurtre quelconque d’un arabe lambda qui n’aurait pas eu l’honneur de la littérature.
Pour ce faire, l’auteur s’est permis de prendre quelques libertés avec la réalité (si on peut parler de réalité) puisqu’il part du principe que c’est Meursault qui a écrit L'Étranger ce qui veut dire qu’il a échappé à la peine de mort. Ici c’est le frère de la victime qui s’exprime très longtemps après les faits. C’est un vieillard et il veut rendre justice à son frère qui n’est pour des millions de lecteurs que la victime anonyme de Meursault,
Ce qui est amusant dans ce roman, c’est que Haroun, le narrateur, frère de Moussa (la victime) se heurte au fait que le meurtre n’a jamais eu lieu puisqu’il n’est que le final d’une oeuvre littéraire. Mais il ne se pose jamais la question de savoir pourquoi on n’a jamais retrouvé le corps de son frère, ni l’endroit où le meurtre s’est produit, qu’on n’ait plus eu de nouvelles de Raymond ni d’aucuns témoins, qu’on n’ait pas de trace du procès...Tout ce qu’il reste de concret de ce meurtre, c’est un roman écrit par le meurtrier, un roman magnifique et connu mondialement. C'est un peu comme s'il s'agissait d'une rêverie d'un quincailler qui se prend pour le frère d'un type mort dans un roman.
Le récit de Kamel Daoud est en ce sens une mise en abîme littéraire assez jubilatoire. Je crois que Julie Schittly serait d'accord avec moi.
Haroun, personnage littéraire au même titre que Meursault se donne le droit de réponse, et cette contre-enquête prise de façon purement factuelle n’est pas sans intérêt. Elle permet de nous replonger dans l’ambiance de la guerre d’indépendance et des relations entre les Pieds-Noirs et les Algériens. A travers la vie de Haroun, on découvre le quotidien de l’Algérie colonisée. Le soleil est aussi accablant que dans L'Étranger et l’écriture quasiment aussi sèche.
Mais plus qu’un exercice de style, c’est à un exercice littéraire que nous convie l’auteur. En plus de m’avoir donné le vertige, il m’a permis de me replonger dans L'Étranger (que je n’ai pas étudié à l’école) qui s’était effacé de mes écrans radar depuis très longtemps.
lecture : janvier 2015, kindle, Actes Sud, parution : mai 2014. 4/5
Loïc LT
Commentaires
Il faut absolument que je relise L'Etranger. Je l'ai lu il y a si longtemps (j'étais ado) que je l'ai totalement oublié. Et puis je chercherai ce Meursault... à la médiathèque.
Et il se lit vite. Une heure trente chrono.