Marguerite Yourcenar trouva un jour cette phrase, dans la Correspondance de Flaubert : " Les dieux n'étant plus, et le Christ n'étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l'homme seul a été. " Et l'auteur de Mémoires d'Hadrien ajoute : " Une grande partie de ma vie allait se passer à essayer de définir, puis à peindre, cet homme seul et d'ailleurs relié à tout. "
Marguerite Yourcenar nous propose de retracer toute la vie de l’empereur romain Hadrien. L’écrivain imagine un long récit écrit par l’empereur au crépuscule de sa vie à l’attention de Marc-Aurèle, son jeune protégé en qui il voit un futur empereur. Nous sommes en 117 après JC, l’empire est à son apogée.
Le résultat est édifiant. Je ne connaissais pas Yourcenar mais il ne m’a pas fallu beaucoup de pages pour être conquis par son style raffiné en même temps que fluide. C’est un plaisir de tous les instants. Dans cet exercice de haute voltige, nous faisons la connaissance d’un grand humaniste, épris de justice et de paix, sévère avec lui même, amoureux d’art, de belles choses (et de beaux hommes) et dont la vie n’aura eu qu’un but : servir le mieux qu’il soit possible le peuple romain.
Le récit fourmille d’anecdotes et de réflexions sur le pouvoir, les religions ( Hadrien considère la religion catholique qui en est à ses balbutiements comme une secte dangereuse), l’amour, la mort.
Mais malgré le travail de documentation important qu’on devine derrière tout ça, je n’ai jamais pu me départir du fait que le point de vue de Yourcenar est forcément très subjectif et j’ai trouvé par exemple que l’auteur prêtait à Hadrien des idées que seul le recul de l’histoire dont elle disposait pouvait avoir fait naître. Elle a eu sans doute conscience de tout cela mais rien n'y fait, je n'imagine pas Hadrien avoir comme philosophes et poètes préférés ceux-là même que l'histoire a gardés.
A plusieurs moments, en lisant ce livre, je me suis dit “quand même, quel grand esprit cet Hadrien !” en mettant de côté la part de fiction dans tout cela. Il n’en reste pas moins que la valeur documentaire de ce récit est indéniable. Pour finir, je laisse la parole à l’empereur.
P123 : je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l’esclavage : on en changera tout au plus le nom. Je suis capable d’imaginer des formes de servitude pires que les nôtres, parce que plus insidieuses : soit qu’on réussisse à transformer les hommes en machines stupides et satisfaites, qui se croient libres alors qu’elles sont asservies, soit qu’on développe chez eux, à l’exclusion des loisirs et des plaisirs humains, un goût du travail aussi forcené que la passion de la guerre chez les races barbares.
lecture du 19.08 au 23.08.2011
Gallimard, 303 pages
année de parution : 1951
note : 4.5/5
Commentaires
Tiens et par rapport à ma réserve, je viens de trouver ça sur wikipedia :
L'écrivain américain Gore Vidal, auteur en 1964 de Julien, mémoires de l'empereur Julien, a porté en 2006 un jugement comparatif sévère sur l'œuvre de Yourcenar : « Yourcenar a fait toutes les erreurs possibles pour un roman historique. D'abord, elle transforme Hadrien en Mme Yourcenar. [...] Elle a tout surdécoré avec de la pensée moderne.»
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Yourcenar,Yourcenar, c'est qui ton Yourcenar?
Pourquoi t'as pas lu le livre que papa t'as acheté, les mémoires de Raymond Poulidor?