Middlesex de Jeffrey Eugenides pèse 322 grammes, ce qui en fait un gros livre de poche. J'aime beaucoup les pavés car ça donne vraiment le temps d'habiter les personnages, de les comprendre et de se sentir aussi lié à leur destin. Mais là, la lecture s'étant faite sur trois semaines, je dois dire que j'ai eu du mal à entrer dans l'histoire. Ce n'est pas par manque d'intérêt...mais en ce mois de mars, je me suis fait doublement exploiter au boulot, si bien que le soir, je m'endormais littéralement devant mon bol de soupe. Alors, vous comprenez qu'il était difficile de me concentrer sur des choses aussi éloignées du quotidien où j'étais enfermé dans des considérations très terre à terre.
Pensant à tout cela, vendredi soir, je me suis promis de le finir pour la fin du weekend..ce qui j'ai réussi, et sans forcer tant le récit était limpide et l'histoire assez haletante. Ce roman se déroule sur trois générations et raconte le destin d'une famille grecque qui émigre vers les Etats-Unis au début du XXème siècle. Tout aurait été en somme très banal si les émigrants, un frère et une soeur n'avaient pas décidé de se marier sur le paquebot les emmenant vers le rêve américain. Les conséquences de cet inceste se dévoileront deux générations plus tard, un bébé (prénommé Caliope et qui est aussi la narratrice) qui se présente comme étant une fille s'avère être aussi un garçon. Ce que personne ne remarquera pendant toute son enfance. Alors que toutes ses amies voient leurs corps se transformer à l'adolescence, rien ne se passe chez Caliope. Après moulets péripéties, quelques années plus tard, Caliope devient un garçon et se fait appelé Cal.
A travers l'histoire de Caliope, le narrateur embrasse toute l'histoire de Etats-Unis et plus précisément de Détroit, ville où la famille Stéphanides a décidé de s'implanter en 1922. Lecture très instructive sur la dévouvert de soi-même, de son corps, sur la condition du réfugié et sur le modèle américain. note : 4/5
un extrait : en arrivant à Détroit, Lefty se fait pistonner par un cousin pour entrer dans l'usine Ford, principal employeur de la ville. Lefty et sa femme Desdemona ( qui est aussi sa soeur) sont, dans un premier temps, logés chez les cousins, Zizmo et Lina. Un jour, des envoyés de Ford lui rendent visite :
Deux hommes se tenaient sur la paillasson. Ils portaient des costumes gris, des cravates rayés, des chaussures noires. Ils avaient des favoris courts. Ils tenaient à la main des mallettes identiques. En enlevant leurs chapeaux, ils révélèrent des cheveux du même châtain, soigneusement séparés par une raie au milieu. Zizmo retira la main de sa veste.
" Nous appartenons au service social de l'entreprise Ford, dit le plus grand. Mr Stephanides est-il à la maison ?
- oui ? dit Lefty.
- Mr Stephanides, laissez-moi vous expliquer la raison de notre présence.
- la direction estime, enchaîna le plus petit, que cinq dollars par jour entre les mains de certains hommes peuvent constituer un handicap énorme sur les voies de la droiture et de l'honnêteté et faire d'eux une menace pour la société en général.
- Il a donc été décidé par Mr Ford - reprit alors le plus grand - que cet argent ne peut être alloué à qui ne saurait en faire usage en toute conscience et avec retenue.
- Egalement - de nouveau le petit - que si un homme semble avoir les qaulités requises mais qu'il en vient à faiblir, l'entreprise est en droit de le priver de sa part de bénéfices jusqu'à ce qui se soit réhabilité. Pouvons-nous entrer ?
Une fois à l'intérieur, ils se séparèrent. Le grand sortit un bloc de sa mallette. " Je vais vous poser quelques questions, si vous voulez bien. Buvez-vous, Mr Stephanides ?
- non." Zizmo répondit pour lui.
" Et qui êtes-vous, si je puis me permettre ?
- M'appelle Zizmo.
Vous êtes en pension ici ?
- Je suis chez moi.
- Ce sont donc Mr et Mrs Stephanides qui sont pensionnaires ?
- C'est ça.
- ça ne va pas. ça ne va pas, dit le grand. Nous encourageons nos employés à souscrire un emrpunt-logement.
- Il y travaille", dit Zizmo.
Entre temps, le petit était entré dans la cuisine. Il souleva les couvercles, ouvrait la porte du four, scrutait le contenu de la poubelle. Desdemona allait s'y opposer, mais Lina la retint d'un regard. (Et remarquez comment le nez de Desdemona s'est mis à bouger. Depuis deux jours, son odorat est incroyablement fin. Les aliments commencent à avoir une drôle d'odeur pour elle, la feta sent les chaussettes sales, les olives la crotte de chèvre.)
" Vous vous baignez souvent, Mr Stephanides ? demanda le grand.
- Tous les jours, monsieur.
- Vous vous brossez les dents souvent ?
- Tous les jours, monsieur.
- Avec quoi ?
- De la poudre."
Maintenant le petit était en train de monter les escaliers. Il envahit la chambre de mes grands-parents et inspecta les draps. Il entra dans la salle de bains et examina le siège des toilettes.
A partir de maintenant, utilisez ceci, dit le grand. C'est un dentifrice. Voilà une brosse à dents neuve."
Déconcerté, mon grand-père saisit les objets. "Nous venons de Bursa, expliqua-t-il. C'est une grande ville.
- Brossez le long des gencives. De bas en haut pour le bas et de haut en bas pour le haut. Deux minutes matin et soir. Essayez.
- Nous sommes des gens civilisés.
- Dois-je comprendre que vous refusez de vous conformer aux instructins d'hygiène ?
- Ecoutez-moi, dit Zizmo. Les Grecsz ont construit le Parthénon et les Egyptiens ont construit les pyramides à une époque où les Anglo-Saxons étaient encore vêtus de peaux de bêtes." (jolie la réplique)
Le grand regarda Zizmo et nota quelque chose sur son bloc.
"Comme ça ?" demanda mon grand-père. Avec une grimace hideuse, il fit aller et venir la brosse dans sa bouche sèche.
"C'est dela. Parfait."
Le petit réapparut alors. Il ouvrit son bloc et commença : "premier point : poubelle de la cuisine dépourvue de couvercle. Deuxième point : mouche sur la table de la cuisine. Troisième point : trop d'ail dans la cuisine. Provoque l'indigestion."
(Et maintenant Desdemona localise le coupable : les cheveux du petit. L'odeur de la brillantine lui donne la nausée.)
"C'est très généreux à vous de venir vous intéresser à la santé de vos employés, dit Zizmo. Il ne faudrait pas que quelqu'un tombe malade, n'est-ce pas ? ça pourrait ralentir la production.
- Je vais faire semblant de ne pas avoir entendu, dit le grand, puisque vous n'êtes pas un employé de l'entreprise Ford. Toutefois, se retournant vers mon grand-père, je dois vous dire, Mr Stephanides, que dans mon rapport, je mentionnerai vos relations sociales. Je recommanderai que vous et Mrs Stephanides vous installiez dans votre propre foyer dès que la chose sera financièrement possible.
- Et puis-je vous demander quelle est votre profession, monsieur ? voulut savoir le petit.
- Je suis dans le transport, dit Zizmo.
- Très gentil à vous, messieurs, d'être passés, intervint Lina. Mais si vous voulez bien nous excuser, nous allions nous mettre à table. Nous devons aller à l'église ce soir. Et bien sûr, Lefty doit être couché à neuf heures pour se reposer. Il aime être frais et dispos au réveil.
- C'est bien. Très bien."
Ensemble ils mirent leurs chapeaux et s'en allèrent.
Commentaires
oh ! mais c'est une merveille ton blog !! de la littérature (et de la vraie !) ainsi que des choix musicaux que je trouve à mon gout !! merci d'exister sur la toile !!