Depuis quelques jours, j'ai ressorti mes Proust, pas ceux de la Pléiade parce que ces derniers sont faits pour rester en bibliothèque mais les poches, déjà tous usés, écornés, marqués, fluorés. J'avais lu La Recherche pendant mon service militaire (non non pas par snobisme hein) et je me souviens que mes compagnons d'armes se moquaient. Je me souviens notamment d'un 31 décembre au soir où j'étais d'astreinte au régiment. Pendant que mes collègues jouaient aux cartes, je lisais. L'un d'eux, passablement émêché est venu vers moi, a piqué le bouquin que je le lisais et alors, avec ses amis, ils se le sont passés comme un ballon de basket. Ça semble anodin comme ça mais ça m'a marqué.
Après un début de lecture difficile (cent premières pages de du côté de chez Swann), je me suis par la suite régalé, profitant pleinement de chaque phrase. Mon idée sur cette oeuvre majeure est qu'on s'en fout de cette histoire d'aristocrates dans le Paris (essentiellement) au début du XX. On s'en fout car ce qui compte, à mon sens, c'est la façon dont le narrateur analyse les comportements, le pourquoi du comment d'un geste ou d'un regard, la façon dont on peut se rendre ridicule et surtout la façon dont on envisage le temps qui s'écoule. Oui, on s'en fout de la trame qui se situe essentiellement dans les salons mondains et stations balnéaires huppées.
Chacun de nous a ses petites manies intérieures, ses petites réflexions personnelles qu'on se fait sur une chose en particulier ou la vie en général et nous trouvons ces petites choses si bizarres que nous ne pensons pas un instant qu'une personne puisse se figurer intérieurement les mêmes bizarreries. Et bien, je me suis rendu compte avec Proust que nombre de mes petites philosophies à 2 balles pouvaient être très communes, la cerise sur la gateau étant bien sûr que Proust savait lui formuler à merveille ces non-dits intérieurs.
Pendant ces fêtes, je me trimballe avec « le côté de Guermantes », troisième volume de La Recherche. Pour étayer mes propos, je ne peux m'empêcher de vous faire partager cette réflexion qui depuis tout petit me travaillait les méninges :
Il en est du sommeil comme de la perception du monde extérieur. Il suffit d'une modification dans nos habitudes pour le rendre poétique, il suffit qu'en nous déshabillant nous nous soyons endormi sans le vouloir sur notre lit, pour que les dimensions du sommeil soient changées et sa beauté sentie. On s'éveille, on voit quatre heures à sa montre, ce n'est que quatre heures du matin, mais nous croyons que toute la journée s'est écoulée, tant ce sommeil de quelques minutes et que nous n'avions pas cherché nous a paru descendu du ciel, en vertu de quelque droit divin, énorme et plein comme le globe d'or d'un empereur.
Exquis non ? Qui ne s'est pas endormi inopinément qui n'ait trouvé au réveil ce sommeil fortuit réparateur et magique ?Vous aimez Proust ? Ça tombe bien, moi aussi et j'ai décidé pour les jours (et les mois ?) à venir vous faire partager ces passages sybillins.