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O.V. DE L. MILOSZ

  • l'hiver des poètes (3) - O.V de L. Milosz

    ab6ae0caab75a23125ca7cb84d7ac4e8.jpgJ'ai ramené ce soir de la maison qui me vit grandir la grosse anthologie de Bernard Delvaille intitulée 'mille et cent ans de poésie française'. L'idée ayant motivé ce rapatriment était de la vendre sur ebay avec une mise à prix de 20€ afin de pouvoir boucler mon budget alimentaire de février. Cependant, comme ce soir j'avais l'esprit un peu triste ( comme on l'est souvent le dimanche soir), je me suis plongé dans ce bouquin...mais pas longtemps, juste le temps quand même de tomber sur un poème de Milosz. C'est beau, ça parle de terrains vagues...et de quoi d'autre, je sais pas trop. Je ne l'ai pas vraiment saisi. Mais je vais essayer. En tout cas, c'est beau, avec plein de noms propres délicieux à prononcer.

    Comment m’es-tu venu, ô toi si humble, si chagrin ? Je ne sais plus.
    Sans doute comme la pensée de la mort, avec la vie même.
    Mais de ma Lithuanie cendreuse aux gorges d’enfer du Rummel,
    De Bow-Street au Marais et de l’enfance à la vieillesse

    J’aime (comme j’aime les hommes, d’un vieil amour
    Usé par la pitié, la colère et la solitude) ces terrains oubliés
    Où pousse, ici trop lentement et là trop vite,
    Comme les enfants blancs dans les rues sans soleil, une herbe

    De ville, froide et sale, sans sommeil, comme l’idée fixe,
    Venue avec le vent du cimetière, peut-être
    Dans un de ces ballots d’étoffe noire, lisse et lustrée, oreillers
    Des vieilles dormeuses des berges, dans les terribles crépuscules.

    De toute ma jeunesse consumée dans le sud
    Et dans le nord, j’ai surtout retenu ceci : mon âme
    Est malade, passante, comme l’herbe altérée des murs,
    Et on l’a oubliée, et on la laisse ici.

    J’en sais un qu’obscurcit un cèdre du Liban ! Vestige
    De quelque beau jardin de l’amour virginal. Et je sais, moi, que le saint arbre
    Fut planté là, jadis, en son doux temps, afin
    De porter témoignage ; et le serment tomba dans la muette éternité,

    Et l’homme et la femme sans nom sont morts, et leur amour
    Est mort, et qui donc se souvient ? Qui ? Toi peut-être
    Toi, triste, triste bruit de la pluie sur la pluie,
    Ou vous, mon âme. Mais bientôt vous oublierez cela et le reste.

    Quand venait l’hiver des faubourgs ; quand le chaland
    Voyageait dans la brume de France, qu’il m’était doux,
    Saint-Julien-le-Pauvre, de faire le tour

    De ton jardin ! Je vivais dans la dissipation
    La plus amère ; mais le cœur de la terre m’attirait
    Déjà ; et je savais qu’il bat non sous la roseraie
    Choyée, mais là où croît ma sœur ortie, obscure, délaissée.

    Ainsi donc, si tu veux me plaire —après ! loin d’ici ! toi
    Murmurant, ruisselant de fleurs ressuscitées, toi jardin
    Où toute solitude aura un visage et un nom
    Et sera une épouse,

    Réserve au pied du mur moussu dont les lézardes
    Montrent la ville Ariel dans les chastes vapeurs,
    Pour mon amour amer un coin ami du froid et de la moisissure
    Et du silence ; et quand la vierge au sein de Thumîm et d’Urîm

    Me prendra par la main et me conduira là, que les tristes terrestres
    Se ressouviennent, me reconnaissent, me saluent : le chardon et la haute
    Ortie et l’ennemie d’enfance belladone.
    Eux, ils savent, ils savent.