Dans les années 30, dans un Mexique où le pouvoir révolutionnaire cherche à détruire toute trace de chrétienté en détruisant les églises et en massacrant les prêtres, le dernier de ces derniers est recherché par les autorités. Le roman de Graham Greene est le récit de cette chasse à l'homme.
Ce roman très fort, très prenant et un brin aride n'est pas aussi manichéen qu'il n'y parait. Le prêtre, alcoolique n'est pas vraiment un saint et le lieutenant à la tête de la traque n'est pas dénué de sentiments. La description de l'extrême pauvreté dans la campagne mexicaine est saisissante et le roman trouve son apogée dans les dialogues de haute voltige entre les deux ennemis enfin réunis. Bien que violent dans le propos et dans les faits, ce roman apparaît avant tout comme le roman des devoirs, les devoirs qui ralentissent le prêtre dans sa fuite et le devoir du lieutenant qui bien que fort respectueux de son prisonnier se doit de le supprimer pour ce qu'il représente.
Un roman qui donne à réfléchir sur le fait religieux en pays pauvre et les limites de l'anticléricalisme lorsque tout espoir d'être heureux de son vivant est abandonné. Aussi haletant qu'un polar, la métaphysique en plus.
Une année de lecture qui commence bien. J'ai quelques autres vieux poches avec pages jaunies et odeurs de vieux papier comme celui-ci à lire.
Le lieutenant cracha tout à coup méchamment, comme si quelque chose de sale s'était glissée sur sa langue.
" Vous avez toujours des réponses qui ne signifient rien, dit-il.
- Les livres ne m'ont pas appris grand chose, dit le prêtre. Je n'ai aucune mémoire. Mais il y a chez les hommes de votre espèce une chose qui m'a toujours beaucoup intrigué. Dites-moi : vous détestez les riches et vous aimez les pauvres, n'est-il pas vrai ?
- Exactement.
- Eh bien, si je vous détestais, je n'élèverais pas mon enfant en sorte qu'il vous ressemblât. Cela n'aurait pas de sens.
- En ce moment, vous déformez...
- Peut-être. Je n'ai jamais su exactement ce que vous pensiez. Nous avons toujours proclamé que les pauvres étaient bénis, tandis que les riches auraient beaucoup de difficultés à entrer au Paradis. Pourquoi ferions-nous des difficultés aux pauvres aussi ? Oh ! Je sais qu'on nous enseigne de donner aux pauvres, afin qu'ils ne souffrent pas de la faim...la faim peut pousser un homme à mal agir tout autant que l'argent...Mais pourquoi donnerions-nous aux pauvres le pouvoir ? Mieux vaut les laisser mourir dans la crasse et s'éveiller au ciel..tant que nous ne les enfonçons pas nous-mêmes plus loin dans la crasse.
- Comme je déteste vos arguments, dit le lieutenant. Moi, je n'en ai pas besoin. Lorsqu'ils voient quelqu'un souffrir, les gens comme vous raisonnent et raisonnent. Ils disent :"peut-être un jour s'en trouvera-t-il mieux ?" Moi je veux laisser parler mon coeur.
- Au bout d'un fusil.
- Oui. Au bout d'un fusil.
- Ah ! bien, quand vous aurez mon âge, sans doute saurez-vous que le coeur est une bête dont il est prudent de se méfier. L'intelligence en est une autre, mais elle, du moins, ne parle pas d'amour.
note : 4/5
lecture du 02.01 au 0601.09
à venir : Syngué sabour, Pierre de patience, Atiq Rahimi