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une saison en enfer

L'horreur,

medium_interieur_poulailler.jpgL'année dernière à la même époque, je ne savais plus trop où j'en étais. Professionnellement parlant. je ne me sentais ni la capacité ni la motivation de refaire de la compta. Je me sentais inutile, j'avais l'impressin d'être un fardeau pour la société. Je venais d'effectuer quelques travaux saisonniers..alors avec Prisca on cherchait dans les annonces. Je ne voulais pas d'un boulot forcément intellectuel mais quelque chose qui me permette de remettre le pied à l'étrier, de casser la logique de l'assistance dans laquelle je m'enfermais. Je savais de toute façon que quel que soit le boulot que j'allais trouvé, je serais moins bien payé qu'avec les assedic.
Une offre tout bête à retenu mon intention : 'ramassage de volailles la nuit, région de Baud, débutant accepté, cdi possible si satisfaction'...c'est le cdi possible qui m'a surpris...c'est devenu un tel privilège d'avoir un cdi...j'appelle...rdv prix l'après-midi même...j'accepte...première mission le soir même à 23heures. Rdv tel endroit. L'entreprise en question met du personnel à disposition des aviculteurs pour le vidage des poulaillers. Les aviculteurs font de l'entraide entre eux mais ça ne suffit pas.
A 22H50, je gare ma voiture devant chez ma nouvelle patronne. D'autres personnes attendaient dans une camionnette pourrie. Je monte, dis 'bonsoir'. On m'attendait car la camionnette part aussitôt. Personne ne m'adresse la parole, pas un mot de bienvenue. On est cinq en tout dont 2 filles. Elles discutent entre elles : 'c'est quoi ce soir ?' 'Des dindons chez untel'. Alors qu'on arrive au poulailler en question, le conducteur me dit 'c'est des dindons ce soir, c'est le plus dur, si tu arrives ça, le reste ne te posera aucun problème'. On descend. D'autres gens approchent du poulailler qui semblent être des connaissances du patron des lieux. Un semi-remorque arrive et se gare près de quai. Sa cargaison se compose de mutiples cages dans lequels, il nous faudra mettre les dindons.
10 minutes après, le patron ouvre la porte : 15,000 dindons 'glougloutent, ils ne ressemblent en rien aux dindons de basse-cour, ils sont tous blancs, presque déplumés, hauts sur pattes, uniformes...les premiers hommes commencent : je note qu'il faut en prendre un dans chaque main en les attapant par les pattes. Je suis le mouvement : j'attrape mon premier volatile 'mon dieu que c'est lourd'...mais maintenant, il faut que j'attrape un deuxième sans m'aider de la main droite déjà occupée...l'enfer, j'y arrive pas...je recommence à zéro et arrive tant bien que mal à saisir deux animaux et je les emmène vers le camion. 20 mètres à faire avec 15kilos au moins dans chaque main : ça tire dans les muscles : arriverai-je jusqu'au bout...oui mais arrivé au camion, je lâche les bestioles et on me demande de me dépêcher.
Le chantier a duré deux heures : deux heures en enfer. J'ai sué de tout mon corps, j'ai eu mal partout, j'ai faili abandonner et la deuxième heure, je n'emmenais qu'un dindon à la fois au lieu des deux prévus. Les autres ont vu mais n'ont rien dit me laissant la chance du débutant. Les femmes dans le chantier n'avaient pas autant de mal, au contraire même, elles y prenaient presque du plaisir et trouvaient même le temps de discuter. Au bout d'une heure aussi, pause : à la bonne franquette, bières et breuvages à volonté.
A 1h30 du mat, on rentre. Dans la camionnette, on me demande comment ça a été mais je note entre mes nouveaux 'collègues' des sourires entendus du genre 'qu'est ce qu'il en a chié'. Je retrouve ma voiture exténué, vidé, déprimé par le spectacle. Je rentre à la maison, je pue atrocément. Douche, dodo...gros dodo...
Le lendemain, dans la journée, la patronne (qui participe souvent aux enlèvements mais pas hier soir) demande de mes nouvelles et me propose un nouveau chantier de 2 heures pour la nuit à venir.Ce seront des poulets me dit-elle. Le chantier est à 1heure du matin. Je me couche à 21 heures pour dormir un peu. A minuit, mon réveil sonne. Prisca dort profondément. Dehors, il pleut des cordes. Qu'on est bien à la maison...mais il me faut me lever pour l'enfer. Même cérémonial. Je me rends chez la patronne en voiture et c'est en camionnette qu'on se rend au nouveau chantier. Dans la camionnette, je reconnais des têtes d'hier soir mais je n'ai franchement pas envie de sympathiser. Arrivé sur place, on me dit qu'il faudra prendre deux poulets dans chaque main...la suite est un enfer : douleurs partout, à bout de souffle, gauche. Je transpire de partout et je veux fuir. Mais je reste. Ce chantier est pire que celui des dindons : 2 poulets dans chaque mains, c'est plus lourd qu'un dindon et en plus, les poulets se défendent plus, ils fuient ou donnent des coups de bec. Je sens dans le poulailler qu'on a pitié de moi, ça jacasse dans mon dos. Je n'en peux plus.
Deux jours plus tard, nouveau chantier de une heure la nuit suivi d'un autre le matin. Celui-là je m'en souviens : il s'agissait de petits poulets de deux kilos et il fallait en prendre 4 dans chaque main, soit huit en tout à envoyer vers les caisses qu'un manitou approchait de nous. Des types nous aident à les mettre dans les caisses et referment chaque caisse quand elle contient 32 poulets soit après que 4 personnes en ait mis dedans. N'en pouvant plus (ces petits poulets étaient en plus difficiles à attraper), je tente de feinter en en prenant que 3 dans une main espérant que ça ne se voit pas...mais un moment, le type aux caisses voit et je lui dis que je me suis trompé. Il doute et la rumeur court dans le poulailler que j'arrive pas à en prendre 4 dans une main (imaginez un instant la difficulté de prendre 4 poulets dans une main quand on en a déjà 4 dans l'autre). Il fait jour en plus et la lumière rentre par les côtés et tout le monde voit que j'en chie.
En tout, j'aurais fait 8 chantiers (d'environ 2,30 heures chacun) sur 15 jours. La patronne qui pas trop au courant des choses alla jusque me proposer un cdi après le 3ème chantier (un cdi de merde quoi ( 30heures dans le mois, la nuit dans la puanteur des poulaillers) se mit à ne plus m'appeler. Pourquoi je vous parle de tout ça : parce que l'autre jour à Baud, j'ai vu une de mes anciennes éphémères collègues qui attendaient quelque chose et je vis la camionnette s'arrêter devant elle : il était 21h30 et elle semblait toute joyeuse. Cette fille, je me souviens adorait ce métier, elle adorait se poser la question avec ses collègues de savoir combien l'aviculteur voudrait qu'on en prenne dans chaque main, c'était sa raison de vivre.
Une saison en enfer


Commentaires

  • J'ai aussi des potes qui ont des métiers dûrs mais qui en sont très fier. Ca m'a toujours surpris !

    N.B. : ce qui n'est pas une critique des métiers, mais des gens qui ne pensent pas qu'ils pourraient améliorer leur quotidien...

  • Dans l'entreprise où je suis actuellement (centaine de salariés sans syndicat), les gens sont désabusés. Quand je leur dis de se réveiller, de se mobiliser pour qu'ensemble nous mettions la pression, on me regarde avec des yeux surpris du genre 'il est fou celui ci'. ça me désespère que cette anémie des travailleurs, ce renoncement...

  • Tu vires communistes ?

  • pas de grossiereté s'il te plait. je ne suis pas plus communiste que toi tu t'appelles Robert.
    La gauche n'a pas le monopole de la défense des ouvriers. C'est d'ailleurs par ce que je pense qu'il faut améliorer le sort de la classe ouvrière que j'ai adhéré à l'ump...et n'y vois aucune ironie.

  • Ce n'était pas de la grossiereté ! Juste une plaisanterie. Je commence à bien te connaître !

  • Cher Loïc, ton texte me fait tristement sourire car tu prends un tel recul face à cette triste réalité passée que ça l'annule presque. Tu exprimes très bien ta détresse d'alors en contraste avec le plaisir éprouvé par d'autres. C'était d'ailleurs ce manque de solidarité qui t'a le plus affecté,je pense. Je connais aussi cette solitude.

  • oui Rozenn, à la limite, que ce métier soit difficile, pourquoi pas mais ce qui est incmpréhensible, c'est ce manque de solidarité entre les ramasseurs, avec le sentiment que les autres guettent la moindre erreur de leur nouveau collègue...
    mais une solidarité existe cependant : dans le regard complice des autres qui se moquent du nouveau...ils sont solidaires entre eux pour se moquer.

  • Ce t"moignage est édifiant et remarquablement écrit. En le lisant, je me disais: voilà un emploi non délocalisable. Et, effectivement, on se demande comment des travailleurs peuvent apprécier ce genre de conditions de travail. Sans doute à cause de l'ambiance, un peu spéciale, des boulots de nuit...

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