Cet après-midi, un collègue de boulot qui affirmait que je m'étais dévergondé me fit part alors que je passais dans son bureau afin d'accéder à un autre qu'il était passé récemment devant une cabine téléphonique située rue du Kenyah sur la commune de Plougoumelen, dans une zone industrielle longeant la RN165, la voie express qui va de Nantes à Brest et qui surtout passe à Lorient. Divine surprise. Je restais sur une déception lors de la pause-déjeuner et donc dès avoir quitté l'entreprise, je me suis rendu sur zone muni de tout l'équipement : appareil photo, Kabino, smartphone, mon corps, ma bagnole etc.
Je n'ai pas mis longtemps à trouver la chose. Mon collègue se demandait à juste titre ce qu'elle foutait là et je confirme. Il semble que les Méchants se concentrent sur les cabines des bourgs et oublient celles qui sont situées dans des endroits improbables, genre au bout des zones industrielles où tout est tellement moche que la laideur de la cabine ne saute pas aux yeux et que donc son démantèlement n'est pas une priorité. Peut-être que ce sont sur ces endroits que je dois concentrer mes derniers efforts.
J'adore ces endroits péri-urbains où l'esthétisme n'a aucune importance. Seule l'activité économique compte et les communes se gardent bien de créer des parterres ou de planter des arbres. Ce serait inutile, quand les gens viennent visiter Plougoumelen, il y a peu de chance qu'ils viennent se balader par ici (d'ailleurs, je me demande pourquoi mon collègue passait par là). J'en reviens toujours à Stéphen Shore et Raymond Depardon, photographes des non-lieux, des périphéries mais dans cette zone, j'avais le sentiment d'être dans une photo de l'un ou l'autre.
Kabino, lui, peu importe l'environnement, il est content de présenter la cabine.
Il s'agit d'une cabine "modèle de Paris". La plupart de ses vitres sont cassées et le téléphone ne fonctionne pas. Par contre, c'est la première fois que je vois ce type de téléphone. On dirait un téléphone dernier cri (beaucoup de plastique) et je pense donc qu'il a été mis en place (ou en a remplacé un autre qui ne fonctionnait pas) aux alentours des années 2000).
Si j'avais dû rester une journée sur place, je crois que je me serais amusé à épuiser l'endroit. C'est un vieux rêve que j'ai et dont je parle parfois (référence à Perec) : rester dans un lieu quelconque et le photographier de toute part, écrire tout ce que l'on voit, tout ce qui s'y passe, faire des rencontres et vider l'espace de tous ses mystères. On peut écrire 600 pages et plus là-dessus, Yann Moix ne m'impressionne pas et pas tout dire parce que c'est impossible mais par la photo, les écrits, les rencontres et les sensations que l'on garde, partir en ayant le sentiment d'avoir violer une zone. Puisque la littérature a tout dit des relations humaines, il est temps qu'elle s'attaque aux lieux mais pas les lieux où les gens aiment se balader mais ces lieux qui sont la matière première de notre société de consommation. Je ne dis pas qu'en évoquant un lieu, il faille occulter l'être humain, non mais il faut l'évoquer de par son rapport à ce lieu. J'ai vu ce soir un chauffeur routier garer son camion car il y avait non loin de la cabine, un parking de poids lourds. Il est resté un quart d'heure dans son camion (transports TRM, transports Rapides du Maine, société basée à Laval, 93 boulevard Galilée à gauche sur la photo) , puis une voiture s'est garée devant. Il est descendu de son camion, a fait un bisou à une dame et ils sont partis. Elle était venue chercher le camionneur qui partage sa vie (ou peut-être a-t-il une maîtresse dans toutes les villes où il s'arrête). Il ne m'a manqué que peu de courage pour aller vers eux et de les questionner poliment sur leurs habitudes à cet endroit.
J'ai dit que j'aurais aimé rester plus longtemps pour tenter de saisir l'essence de ces lieux où les gens ne font que passer si ce n'est pour ceux qui vont au bar restaurent Le Kenyah. Je ne sais pas ce qui vaut cette enseigne mais elle est sans doute surtout fréquentée par les employés qui bossent sur la zone..
...genre, par exemple, ceux qui vendent des camping-cars à Narbonne Accessoire (qui fait partie du groupe Bretagne Sud Loisirs, concessionnaire pour les marques Pilote, Chausson et Autostar) ou ceux qui bossent dans d'autres bâtiments plus discrets ou alors les gens qui bossent aux brûleries d'Alré, un torréfacteur un peu connu dans le Morbihan et qui a son siège pas loin de la cabine aussi :
Après, je suis évidemment allé dans le bourg mais le cœur n'y était plus. Il était resté dans cette zone commerciale. Plougoumelen ressemble à tous les bourgs bretons typiques mais il est quand même plutôt en haut de l'échelle si l'on considère ses chaumières et maisons en pierre qui sont en harmonie avec les constructions contemporaines. C'est le genre de bourg qui dispose de beaucoup de thunes au regard des entreprises se situant sur son territoire et qui doivent donc verser je ne sais plus quelles taxes à la commune. Je me suis arrêté devant une boîte à livres et j'en ai pris trois : Compartiment tueurs de Sébastien Japrisot, Ivanhoé de Walter Scott et orient express de Graham Greene (auteur que j'adore). Logiquement, il faut donner le même nombre de livres qu'on a pris mais je n'en avais pas sur moi mais j'ai trop de respect pour les livres et pour l'esprit des boîtes à livres alors je reviendrai très vite avec des livres et pas des vieux, j'en mettrai dix, promis.
Plougoumelen , (56400), Morbihan , maire : Olivier Kilman (lutte patronale pour la défense des ouvriers libéraux), 2473 plougoumelenistes. cabine téléphonique zc du Kenyah. numéro d'appel : 02 97 29 09 24, hors d'état de nuire. reportage réalisé le 04 avril 2016 vers les 18 heures météo : variable
Loïc LT