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Vie en entreprise : le métier de procédurier

 

Depuis 15 ans au sein de la MESTAC, société lorientaise spécialisée dans la fabrication de passoires à un trou, Théodore occupe le poste de procédurier, un métier de l’ombre où la paperasse résiste encore à l’informatique.

Théodore court de services en services tenant dans ses mains des piles de dossiers et des cachets encreurs avec des inscriptions de tous types. Pour compléter le tout, fixé à sa poche droite, son téléphone le suit partout et ne cesse de sonner. Quand ses collègues le voient débouler dans un service, ils savent qu’il ne vient pas pour raconter une histoire de Toto. A l’accueil froid qu'on lui réserve, Théodore répond par un sourire un brin vicieux. Cela fait longtemps que l’exaspération ne l’atteint plus. Blindé comme un fourgon de transport de fonds, il sait qu’il n’est jamais le bienvenu mais l’importance de sa fonction le rassure. “ A l’école de formation des procéduriers, nous avons été formés sur la façon dont il fallait répondre à la nervosité et l’agacement que suscite notre métier. Il s’agit en fait de se rappeler chaque seconde que nous sommes indispensables” souligne Théodore.

Mais au fait, pourquoi les entreprises ont-elles besoin de procéduriers ? En général, un, voire deux procéduriers suffisent dans une PME de 200 salariés. D’ailleurs, depuis peu, Théodore est secondé par un second procédurier, Théodule, qui le soulage un peu. Le but du procédurier est de mettre tout en oeuvre pour ralentir le processus de production et en fin de compte de ralentir la progression du chiffre d’affaires de l’entreprise en créant des contraintes administratives ingénieuses mais surtout inutiles. ‘Le plaisir justement est que la tracasserie administrative que nous mettons en place force l’admiration, c’est rare mais il arrive que des salariés saluent notre inventivité et c’est toujours pour moi, un grand moment d’émotion’, fait part Théodore. Une émotion rentrée, cela dit car, ajoute le procédurier, fan de pêche et de football, “nous devons rester impassible et cacher au mieux les satisfactions ou les frustrations que nous retirons de cette fonction”.

On devine la question que se pose le lecteur. Quel intérêt,  pour une entreprise pour qui seul le profit compte, que d’embaucher des gens qui mettent des freins partout où c’est possible ? Le procédurier remplit cette fonction à merveille. “C’est vrai que ça peut dérouter, susurre le directeur général, mais les choses ne sont jamais aussi simples qu’elles en ont l’air. L’effectif d’une entreprise doit être harmonieux et donc, il nous faut opérer un subtil dosage. On pourrait comparer une entreprise à une Ferrari disposant du système de freinage d’une twingo. Il nous faut des freins solides afin d’éviter la surchauffe.”

Et Théodore n’a pas d’équivalent dès lors qu’il s’agit de pondre une note de service qui n’a d’autre objectif que de faire perdre leurs temps à ceux qui la lisent. Le procédurier a la passion de son métier mais jusqu’à une certaine limite. Mais dès qu’il a quitté les murs de l’entreprise, il ne pense plus à sa fonction. Amoureux de la nature et du silence des rivières, Théodore aime sa Bretagne natale et il connaît des rivages et des coins de verdure où les touristes ne mettent jamais les pieds.

Car les procéduriers, bien qu’ils aiment mettre des grains de sable dans des services où tout fonctionne sont avant tout des êtres humains. Le sort qui leur est réservé est souvent injuste mais il est des métiers dont la réputation a la dent dure.

Loïc LT  

Commentaires

  • Félicitations ! Ca me plait beaucoup! Tu as du talent, il y a de l’invention, de l’humour, un bon sens de l’observation et un sujet interessant. J'ai d'abord cru que tu décrivais ton métier, ce qui aurait été captivant, puis j'ai pensé que ça ne collait pas. Puis j’ai pensé que c’était un autre compte-rendu de livre, mais en vérifiant, non.
    D’autres pensées : c’est un peu court, j’aimerais bien que tu décrives la compagnie et que tu continues dans cette veine, avec les différents employés (je travaille moi-même dans une petite compagnie). Est-ce que le rôle de procédurier existe vraiment ?
    Ca m’a un peu rappelé un excellent roman qui se passe dans le milieu du travail. En général j’évite les comparaisons, puisqu’on écrit pour être unique, pas pour qu’on nous rappelle que quelqu’un d’autre l’a déjà fait, ce qui n’est pas vrai de toutes les manières. Mais je le recommande quand même : https://www.amazon.fr/conjuration-imb%C3%A9ciles-John-Kennedy-Toole/dp/2264034882/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1482510691&sr=1-1&keywords=john+kennedy+toole Traduction en Français de l’américain.
    Si je peux me permettre, vers la fin, tu mélanges un peu les styles, avec une sorte d’interview journalistique. Tous les deux bien dans leur genre. Mais tu pourrais rester dans le narratif. Je ne suis pas éditrice, mais j’ai aussi vu quelques corrections à faire.
    Et finalement, qu'ai-je, moi, sur le sujet? un ou deux poèmes que je n’ose pas montrer parce que si, justement, mon employeur les lisait…

  • Disons que je caricature le job (qui n'est évidemment pas officiellement procédurier mais j'aime bien le faire passer comme tel ) d'un collègue (que j'apprécie), et oui, je mélange les genres parce que j'écris pour un GRAND journal français depuis peu et que j'ai vite acquis le style 'journaliste'. Ça m'amuse pour l'instant.
    J'ai lu le livre que tu conseilles !

  • Merci Carla. Je sais que c'est sincère quand tu complimentes. Théodore sera content -)

  • J'aime les formats courts, qui ne sont, du reste, pas si faciles que ça. J'aime beaucoup ton texte, on ne peut s'empêcher de penser à Kafka et son arpenteur, et puis je trouve que tu es à l'aise avec le style journalistique, et c'est dommage que ça reste sur ton blog seulement, ça pourrait faire une petite chronique sympa dans un journal un peu décalé. Du reste, j'espère que c'est juste le premier texte d'une série, je dis "encore, encore !". Joyeux Noël à toi et ta famille Loïc :-)

  • Merci pour la référence à Kafka. "Le château" est un chef d'oeuvre. Il faudrait que je demande à Théodore de le lire !
    J'aime bien faire de la sociologie d'entreprise en la tournant en dérision. Mais pas facile de trouver au sein de la sympathique PME dans laquelle je bosse d'autres sources d'inspiration. Le procédurier, par son côté kafkaien n'a pas d'équivalent -)

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