Il est une heure du matin et je n’arrive pas à dormir. J’allume la radio et bien emmitouflé dans ma couette, j’écoute Serge Levaillant nous présenter le menu de son émission sous les étoiles exactement. Ça commence par un générique très adapté à l'ambiance nocturne. J’ai vraiment le sentiment en écoutant cette musique qu’il ne reste qu’une lumière à Paris : celle éclairant le studio de la maison de la radio où se déroule l’émission. Etrangement aussi, de lointains souvenirs me reviennent : j’ai 9 ou 10 ans et je suis en compagnie de ma maîtresse, Mme H et d’une camarade de classe dans un magasin de Baud vendant de la vaisselle : on doit choisir un cadeau pour le départ de Mme Le Bobinec, la dame qui venait tous les jours avec sa simca 1000 blanche nous livrer les plats chauds pour le déjeuner. Quelle étrange idée de m’avoir demandé de donner des idées pour ce cadeau..et je me souviens d’ailleurs que ni ma camarade ni moi n’étions inspirés..et puis nous étions intimidés d’être dans un magasin un samedi en compagnie de notre maîtresse. C’était pas possible qu’une maîtresse existe en dehors des heures de classe.
Alors, pourquoi le générique de l’émission sous les étoiles exactement me rappelle cet événement ? C’était un magasin avec de la vaisselle, des nappes, des chiffons. Ça sentait le propre et puis il y avait une musique de fond. J’étais intimidé et fasciné. Que faisais-je là ? Jamais de ma vie on m’avait demandé d’aider les grands à choisir des cadeaux. Et c’est vrai que Mme Le bobinec était bien vu de tous les enfants de l’école. Elle arrivait toujours très souriante et elle ne s’énervait jamais. Elle était un peu comme une seconde mère pour nous. Elle restait à l’école tout le temps du déjeuner, aidait les enfants à débarrasser et faire la vaisselle et puis elle retournait à Languidic avec bonne humeur.
C’est quand même étrange qu’en 2011, soit 26 ans plus tard, un générique me ramène à ce jour. On avait pris quoi finalement ? une nappe je crois. Il aurait fallu que je demande confirmation à Mme H l’autre jour. En effet, je l’ai rencontré au Carrefour Market à 8h du soir à l’occasion d’une foire aux vins. Elle était avec son mari, André (que j’eus comme prof de physique au lycée). J’avais reçu une invitation pour cette dégustation et Prisca m’avait fait une liste de vins à acheter éventuellement. Je suis donc rentré avec mon caddie mais à un moment de la soirée (car la dégustation a duré n'est-ce pas), alors que je me suis enfin décidé pour des vins (un St-Estephe et un château d’Arsac), je constate surpris que mon caddie est presque plein. Quelqu’un s’est trompé et il s’avère que c’est André H. Je lui dis que ce n’est pas grave, un caddie vaut un autre, je vais prendre le sien mais il me dit qu’il tient à son jeton. Alors bon, il doit tout transvaser. Est-ce que à ce moment, alors que j’étais légèrement éméché après m’être enfilé une petite dizaine de bordeaux en compagnie de l’ami qui m’accompagnait, j’aurais pu demander à Lorette H si elle se souvenait de ce samedi de 1985 où elle nous avait embarqué dans sa voiture, ma camarade et moi, et si elle se souvenait du cadeau que nous avions choisi pour Mme Le Bobinec ? Sans doute que j’aurais pu, l’idée m’a effleuré mais je ne l’ai pas fait. Et est-ce que j’aurais aussi pu lui dire que le générique d’une émission nocturne de france inter me rappelait imparablement ce samedi bruineux (il me revient à l'instant que le ciel était bas et les chaussées humides) de 1985 ?
Commentaires
J'aime bien l'ambiance de ton article. La radio en sourdine dans la nuit de la maison endormie, le souvenir qui remonte de loin, d'un petit tiroir de la mémoire dont on ne se souvenait même plus...