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Du côté de chez Gambetti

L'heure de Gambetti est venue. Dans les quelques textes qu'il m'a envoyé, j'ai choisi de commencer par celui-ci pour plusieurs raisons. La première est qu'il évoque la ville de Lorient qui est ma ville de cœur, la seconde est que j'ai eu une prédilection pour les zones blanches urbaines (sujet du livre blanc de Philippe Vasset que je n'ai pas oublié). Enfin, il y a quelques années, j'avais eu dans l'idée de faire la même chose avec des rhizomes de bambous( mais en forêt avec évidemment des incidences tout autres). 

L’homme qui plantait des arbres

Le projet est venu lentement. Il s’est insinué dans le regard que je porte sur la ville. La ville avec nulle part où poser un regard de campagne. La ville aux arbres domestiqués. Aux prairies rasées de près. Aux arbustes poussant sur des sols plastifiés. Je veux faire quelque chose. Agir. Ici et maintenant.

J’ai la tentation d’aller voir le conseiller municipal à l’environnement. Il y a des permanences le samedi matin pour les simples citoyens comme moi. Mais, j’ai relu une énième fois « l’homme qui plantait des arbres » de Giono : « Si  on l’avait soupçonné, on l’aurait contrarié. » Depuis que je me suis décidé, l’automne ne vient pas. Cela fait deux mois que je le guette. Que je guette les pluies froides et les feuilles rousses. Septembre arrive enfin, en traînant des pieds. Je me mets à déambuler dans la forêt de Toul Fouen. Je fais ce qui est écrit. A la lettre. Je choisis scrupuleusement des glands de chêne blanc, je les choisis selon leur taille et leur aspect. Ils doivent être sans défaut, sans blessure, sans aucune trace d’attaque par quelque ver. J’estime dans leur aspect leur vitalité, leur capacité à germer. Je les mets dans des petits sacs en papier par paquet de cinquante. Je collecte ainsi dix mille glands. Pas de châtaignes, aucun arbre qui pourrait donner des fruits comestibles. On ne les laissera pas croître en ville. Cela doit être une règle dans les villes de France, mais je n’ai jamais vu un arbre avec des fruits comestibles dans aucune de celles que j’ai traversées ou habitées.  Il y a bien des hêtres, mais cette année n’est pas une année à faines. Je stocke tout ça dans la pièce du haut, non chauffée. J’achète, pour mon dessein, un plan de Lorient. Et puis je pars roder en voiture, à la recherche d’espaces non entretenus, de recoins sauvages dans la ville. Pas de pelouses, pas d’espaces verts. On ne les laissera pas croître. De la friche, des endroits oubliés par le bitume ou même des endroits où la nature, malgré l’asphalte, reprend ses droits, où les pousses d’herbes habillent le sol.

Il s’agit, une fois un endroit potentiel trouvé de répondre à la question : cet arbre, s’il pousse, aura-t-il sa place dans l’environnement immédiat ? Va-t-il habiller « naturellement » la ville ? Va-t-il pouvoir s’étendre ? Sera-t-il encore à sa place dans vingt ans ou alors va-t-il gêner les habitants ?

Je prévois de creuser le sol à l’aide d’une simple fourchette et de déposer la graine avant de reboucher rapidement. Le plus naturellement possible. Sans précipitation mais sans traîner non plus. Je dois simplement m’assurer que je suis seul. Et même si je suis vu ! Je compte sur l’oubli. La ville regorge de gens bizarres aux comportements étranges. Je compte sur l’amnésie collective. Quelqu’un qui s’accroupit dans un terrain vague, personne n’y prête vraiment attention. Banales lubies. Je prévois ensuite de noter scrupuleusement  par une croix sur le plan l’endroit où j’ai planté et le nombre de glands.

Je veux miter le paysage urbain. Lorient est une ville déjà assez arborée, avec, paradoxe, quasiment aucun jardin public, à part la place principale. Sur le plan ou sur place, en déambulant, je cherche des espaces libres. Colonisation. Béton contre chlorophylle. Guerre du vert.

Le port. Le port de pêche et de commerce. Dans ces friches industrielles à l’abandon je me mets à roder. Comme un voleur. Malaise. Lieux interlopes. Tags. Squatteurs. Clochards… C’est là que je comprends le problème des espaces arborés en ville. Surtout dans des quartiers excentrés non consacrés à l’habitation. Cela n’est pas toléré, pour des raisons, je crois comprendre, des raisons de sécurité. Il faudrait sinon circonscrire ces forêts de murs comme les jardins parisiens. Et les faire garder.

Ne pas choquer. Ne pas déranger. Fondre mon projet dans la ville, le plus possible, pour qu’un jour, chaque arbre ayant une place qui aura été pensée, sa découverte soit une surprise. Une agréable surprise. Comme si la nature avait bien fait les choses. Epouser la ville. Epouser sa philosophie. Ourler les perspectives de vert. Accompagner de cette couleur les lignes de fuite. Surtout ne pas encombrer l’espace.

Mars arrive. Je suis prêt, je piaffe d’impatience. Je prends quelques sacs de glands et j’en sors une poignée. Leur aspect a changé. Fébrilement, j’enlève la coque de quelques uns : dessous, ils sont tous flétris et noirs de moisissures. Inutilisables.  

Gambetti. 

Commentaires

  • Chapeau bas. J'ai adoré.

  • ah ba super, pour une fois que c'est pas moi qui écris, tu adores !

  • Je me suis toujours sentie beaucoup d'affinités avec Gambetti... ;-)

  • ah oui !
    Mais le Gambetti qui s'exprime ici est un autre Gambetti et c'est une vraie personne !

  • ah oui !
    Mais le Gambetti qui s'exprime ici est un autre Gambetti et c'est une vraie personne !

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